Cartables bleus estampillés Unicef au dos, des centaines d'enfants dévalent de petites dunes de sable pour aller étudier dans la périphérie de Ouallam, ville du sud-ouest du Niger, région en proie à la violence jihadiste depuis cinq ans.
Ces enfants ne sont cependant pas des élèves comme les autres et gardent en eux les souvenirs des horreurs commises par les jihadistes auxquelles ils ont assisté. Ils viennent en effet de 18 villages proches du Mali, dont les habitants ont trouvé refuge fin 2021 à Ouallam, fuyant les tueries des groupes jihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique (EI) qui ont entraîné la fermeture des écoles.
Au Niger, 817 écoles totalisant 72.421 élèves dont 34.464 filles ont fermé, principalement dans la région de Tillabéri, cette zone dite des "trois frontières" entre Mali, Niger et Burkina Faso, selon le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef).
Cette situation "a poussé les autorités à créer" des Centres de regroupement scolaires pour les enfants de déplacés "afin qu'ils puissent poursuivre leur cursus", explique à l'AFP Mahamadou Illo Abarchi, un responsable de l'éducation de Ouallam où une centaine d'écoles ont dû fermer.
Quelque 17.000 élèves ont déjà pu réintégrer le système éducatif et bientôt plus de 55.300 autres vont aller dans une vingtaine de ces centres dédiés dans plusieurs villes du sud-ouest abritant des déplacés, selon le gouvernement nigérien.
A Ouallam, près de 1.600 écoliers, dont certains avaient décroché depuis trois ans, sont inscrits dans trois centres construits à proximité d'un site de déplacés. Les cours ont lieu dans des hangars ou des classes en dur, équipés de tables et de bancs offerts par des ONG, mais aussi à même le sol.
"Nous sommes contentes de reprendre le chemin de l'école", jubilent, ardoises à la main, Fatima et Aïssa, deux fillettes originaires de Ngaba, localité proche du Mali.
L'euphorie d'un retour sur les bancs de l'école n'a cependant pas effacé les souvenirs des horreurs dont certains enfant ont été témoins. "Mon oncle était chef de village, il a été tué (en 2020, ndlr) par les bandits" jihadistes "sous nos yeux, il y avait beaucoup de sang", se souvient Mariama, qui habitait également Ngaba.
Nassirou, Malick, Hasane, Abdou et leurs parents ont "marché des kilomètres à pied" pour fuir Adabdab, village de la commune de Banibangou, plusieurs fois ciblée par des attaques jihadistes, dont la dernière a coûté la vie à 11 civils le 22 octobre. "Ce sont les bandits qui nous avaient chassés, ils ont tué beaucoup d'hommes", chuchote Nassirou, croisé dans la cour de récréation.
"Signes de détresse"
La voix étouffée par les bruits du chantier de construction de nouvelles classes, Moussa, également venu d'un hameau de Banibangou exulte: "je n'ai plus peur, je ne me cache plus quand j'entends les bruits des motos" qu'utilisent le plus souvent les jihadistes pour attaquer les villages.
A leur arrivée, de nombreux enfants présentaient "des signes de détresse et de traumatisme, certains s'isolaient, d'autres étaient très agressifs", raconte Morou Chaïbou, responsable pédagogique. Certains ont relaté avec force détails comment "leurs parents ont été fusillés devant eux", soupire-t-il.
"Pour stabiliser ces enfants face aux chocs vécus, nous leur assurons, en plus du programme officiel, un suivi psycho-social", atteste Adamou Dari, le directeur des centres de la région. "Désormais, ils se concentrent en classe et les résultats sont encourageants", confirme une enseignante qui joue dans la cour avec une dizaine d'élèves.
Des "cas mineurs" d'absentéisme inquiètent toutefois les responsables des centres de Ouallam qui disposent de cantines gratuites. Des enfants sèchent les cours pour aller "travailler en ville et nourrir leur famille", constate Adamou Dari.
Très pauvres, des "familles ont tendance à faire travailler les enfants" ou "à déclencher des mariages précoces de jeunes filles", déplore l'ancien secrétaire d'Etat français Harlem Désir, vice-Président Europe de l'ONG International Rescue Committee (IRC) qui a visité récemment le site des déplacés de Ouallam.
Morou Chaïbou prévient: "Si ces enfants sont délaissés, ils risquent de se faire enrôler par les groupes armés".
En 2021, Amnesty International a sonné l'alerte sur le recrutement de jeunes garçons de 15 à 17 ans, principalement par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al Qaïda, en particulier dans la zone de Torodi près du Burkina Faso, en accord avec les parents.