Casquette à la Spielberg sur la tête, l'apprentie-réalisatrice Esther Abah donne ses dernières instructions à son actrice et repart s'installer derrière le moniteur. Dans les studios de l'académie EbonyLife Creative, une école de cinéma flambant neuve à Lagos, l'équipe d'une trentaine d'étudiants est "prête à tourner".
Dans ce faux-confessionnal en velours, ils filment leur court-métrage "Mon Père pardonnez-moi". "3. 2. 1. Action !", lance la jeune réalisatrice, pendant que, sur les conseils d'une professeure, l'ingénieure-son ajuste encore sa perche. A 30 ans, Esther Abah a déjà réalisé plusieurs courts-métrages et clips au Nigeria. Mais en intégrant l’école, elle "souhaitait apprendre à faire des films avec une autre perspective", dit-elle à l'AFP.
Basée à Lagos, la capitale culturelle bouillonnante du Nigeria et de toute l'Afrique de l'ouest, cette académie vise à former des jeunes professionnels de Nollywood, la très puissante industrie du cinéma nigériane, à réaliser des films capables de s'exporter en dehors du continent africain.
Fait rare dans le pays, les formations sont gratuites et entièrement financées par l'Etat de Lagos, qui a compris que sa jeunesse créative et ambitieuse est une vraie richesse, et un immense pourvoyeur d'emplois potentiel si le secteur est mieux encadré.
"Nous voulons que nos étudiants soient capables de raconter des histoires nigérianes à destination d'un public international, dans un format qui soit accessible au monde entier", explique à l'AFP le directeur de l'école, Theart Korsten.
Tous les métiers du cinéma y sont représentés – réalisation, jeu d’acteur, production, scénario, son, direction artistique... – et tous les professeurs sont Nigérians, Sud-africains ou Kényans, avec une expérience à l'international.
Jeunesse dorée et paillettes
Jusqu'à récemment, Nollywood, qui produit plus de 2.500 films par an, ne cherchait pas activement à conquérir le marché mondial, forte des 215 millions d'habitants du Nigeria et d'une influence culturelle immense sur le continent.
Depuis l'essor de Nollywood dans les années 80, l'immense majorité des réalisateurs nigérians tournent leurs films en quelques semaines avec moins de 20.000 dollars. Des films "financés au Nigeria, et produits pour un public nigérian", fait remarquer Alessandro Jedlowski, anthropologue spécialiste de Nollywood à Sciences-po Bordeaux.
Mais au début des années 2010, face aux piratages massifs qui annihilent le modèle économique de l'industrie, une partie des distributeurs s'oriente progressivement vers un "marché plus formalisé". C'est aussi l'avènement des chaînes satellitaires, de nouvelles salles de cinéma... et surtout du streaming payant.
Ils ciblent alors l'élite nigériane et la diaspora africaine, plus aisées, explique M. Jedlowski. Les budgets augmentent et le type de films changent, avec en tête d'affiche les comédies romantiques mettant en scène la jeunesse dorée de Lagos.
La montée en puissance des grandes plateformes internationales de streaming comme Amazon ou Netflix permet aussi d'ouvrir Nollywood à un public international beaucoup plus large.
"Des films venus d'Amérique du Sud, d'Asie, ou de pays quasiment inconnus en Europe ont du succès sur les plateformes, alors de nombreux réalisateurs nigérians se sont rendu compte que leurs films pouvaient être vus à une échelle mondiale", explique le réalisateur nigérian Daniel Oriahi, professeur à l'académie EbonyLife Creative. "Mais pour cela, ils doivent se conformer à des standards différents, en terme de narration ou de technique", souligne-t-il.
Mauvaise réputation
Alors, à l'académie, on pousse les scénaristes et réalisateurs à s’essayer à d’autres genres, le drame ou le polar par exemple. Les acteurs sont eux formés à jouer différemment pour faire mentir leur –mauvaise – réputation dans l'univers du cinéma, de manquer de réalisme ou surjouer leur rôle.
"Nous parlons fort, nous sommes excités, tout est très dramatique chez nous et cela se reflète dans nos films. Mais vous pouvez transmettre les mêmes informations sans surjouer, et faire en sorte qu'un téléspectateur en Asie puisse s'identifier à nos personnages", dit M. Oriahi.
Ces critères différents, la puissante société de production Ebonylife les a bien compris. Et ce n'est pas un hasard si elle est devenue l'un des principaux partenaires de Netflix au Nigeria.
C'est pour former les professionnels de ce nouveau Nollywood, mais aussi pour repérer les meilleurs talents qu’elle a lancé cette école. Et c'est au sein de sa première promotion que la société de production a repéré Genoveva Umeh, l'actrice-star de Blood sisters, la première série nigériane co-produite par Netflix, diffusée depuis début mai. D’autres étudiants ont été recrutés comme stagiaires sur un film en préparation avec Amazon.
Les projets abondent et rien qu'en 2021, Nollywood a rapporté 660 millions de dollars de revenus au pays, soit 2,3% du PIB de la plus grande économie africaine. Selon les analystes financiers, son potentiel de croissance est immense. Alors pour Esther Abah et ses camarades, il n’y a pas qu’à Los Angeles qu’il est permis de rêver. A Lagos aussi.