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L'impossible retour des victimes de Boko Haram au Nigeria


Personnes déplacées fuyant Boko Haram, camp de Furore, Yola, Nigeria, le 8, décembre 2015.
Personnes déplacées fuyant Boko Haram, camp de Furore, Yola, Nigeria, le 8, décembre 2015.

Aucun mouvement, aucun véhicule, ni aucune trace de vie humaine: vue du ciel, la route qui fend l'étendue de brousse jaunâtre est déserte. Quand apparaissent soudain les hauts murs du camp de Ngala et ses 55.000 déplacés qui ont fui le groupe islamiste nigérian Boko Haram.

Ce district dans le nord-est du Nigeria était coupé du monde pendant près de deux ans, jusqu'à sa libération en mars dernier, quand l'armée a chassé les djihadistes à l'issue d'intenses combats.

Mais les villageois vivent toujours regroupés dans des tentes et des huttes de pailles, sous haute surveillance militaire.

A quelques centaines de mètres du camp, Ngala reste une ville fantôme et la sécurité précaire.

"Boko Haram est encore tout près d'ici. La seule chose à faire c'est d'attendre la nourriture de l'aide humanitaire", tranche Aishi, une femme de 50 ans aux traits creusés par des rides profondes.

A l'exception de Maiduguri, Ngala est pour l'instant une des rares localités où peuvent se rendre sporadiquement les ONG, avec Bama, Dikwa ou Monguno.

Quand Médecins sans frontières a enfin pu se rendre dans le camp fin septembre, le constat a été sans appel: l'urgence humanitaire dans le nord-est du Nigeria avait atteint "des niveaux catastrophiques".

Débordées par les 1,6 million de déplacés dans le seul Etat du Borno, les autorités nigérianes tentent aujourd'hui de les convaincre de retourner chez eux, assurant que la sécurité est revenue.

Aishi est arrivée il y a un an après avoir vu son mari et son jeune frère brûlés vifs, quand Boko Haram a attaqué son village de Warshalle, à 20 kilomètres à peine: "Ils ont enfermé une dizaine d'hommes dans une maison avant d'y mettre le feu. J'ai tout vu, j'étais là quand ils les ont tués". Le pagne qu'elle portait ce jour-là est tout ce qu'elle garde de sa vie passée.

Comment envisager le retour quand la peur de revivre ces même scènes vous hante au quotidien, et qu'on a tout perdu?

Assis à l'ombre de sa tente par une chaleur écrasante, Abdullahi Asuha, un chef traditionnel, abonde en ce sens: "Ici on ne peut rien faire, on ne peut pas s'éloigner du camp à plus de trois kilomètres parce qu'ils (Boko Haram) peuvent nous attaquer".

"Boko Haram, dit-il, a pillé nos récoltes, nos troupeaux, ils ont brûlé nos terres. On ne pourra pas cultiver ni faire de l'élevage si on retourne dans notre communauté".

Opérations de nettoyage

Le long du chemin sablonneux qui traverse Ngala, les stigmates de la guerre qui a fait au moins 20.000 morts et plus de 2,6 millions de déplacés à travers le pays depuis 2009, sont visibles partout.

Les lampadaires dont les panneaux solaires ont été arrachés gisent à terre, tandis que d'énormes cratères laissés par l'explosion de mines enterrées ici et là rendent la circulation chaotique, même pour les gros pick-up de l'armée.

Le lieutenant-colonel Patrick Omote, qui commande le Bataillon 3 basé à Ngala, se veut toutefois confiant. Il assure que ses hommes ont "effectué de nombreuses opérations de nettoyage" et "détruit les camps d'entraînement" de Boko Haram.

"La région est stable aujourd'hui par rapport à ce qu'elle a été. Nous avons rétabli la normalité", insiste l'officier.

Dans le nord, l'insurrection est certes largement affaiblie, mais l'instabilité et les combats sporadiques isolent toujours une grande partie du nord-est du pays, placée sous embargo militaire.

La plupart des routes sont bloquées, l'administration civile n'est pas revenue et les déplacés sont presque systématiquement regroupés dans des camps.

Il y a un mois, la réouverture de l'axe stratégique entre la capitale de l'Etat du Borno, Maiduguri, et Ngala, à 150 km à l'est, a permis la reprise du commerce transfrontalier avec le Cameroun. Mais là encore, seuls les convois escortés par des militaires lourdement armés s'y aventurent, et les embuscades n'ont pas disparu.

Abulkarim Gambo est un nouveau venu. Il a marché depuis Garal, à une cinquantaine de km dans la région du lac Tchad, avec ses deux femmes et ses 14 enfants.

Le paysan a subi le voisinage d'un camp d'islamistes pendant trois ans, sans réussir à s'échapper. "Ils collectaient nos production de maïs et de mil, ils surveillaient nos prières et nos mouvements, tout était sous leur contrôle".

Il y a un mois, l'armée a eu des "accrochages violents" avec Boko Haram dans les environs de Garal.

"En repartant les soldats nous ont dit de venir ici", affirme-t-il en remerciant Dieu avec son chapelet. "Sans cela, nous serions toujours entre leurs mains".

Signe que la situation est loin d'être stabilisée, près de 3.000 nouveaux déplacés sont ainsi arrivés depuis un mois.

Avec AFP

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