Ces violences sont aussi une illustration cinglante de l'échec du président sortant Muhammadu Buhari, un ancien général putschiste de l'armée, qui s'était fait élire démocratiquement en 2015 et en 2019 avec la promesse de ramener la paix au Nigeria.
Car, pas une semaine, pas une journée ne se passe sans que des attaques d'envergure de groupes criminels (dans le nord-ouest et le centre), jihadistes (dans le nord-est), ou séparatistes (dans le sud-est) n'endeuillent le géant ouest-africain, pourtant l'un des pays les plus dynamiques du continent.
Leur fréquence et leur intensité menaçaient d'ailleurs les élections présidentielle, législatives et régionales de février et mars. Une relative accalmie observée durant la période électorale avait surpris tout le monde, et permis la tenue de ces scrutins, même dans les régions les plus volatiles. Elle a rendu possible l'élection de Bola Tinubu qui doit prêter serment lundi, bien que les résultats soient contestés devant la justice par l'opposition qui dénonce des fraudes massives du parti au pouvoir.
Cette accalmie a toutefois été de courte durée, car dès avril le bruit des armes reprenait avec toujours plus de force. Depuis deux mois, la liste des attaques semble sans fin: plus de 100 morts et 3.000 déplacés après des affrontements entre communautés, 25 fidèles enlevés dans une église, 5 militaires tués dans l'explosion d'une mine...
"Dès son entrée en fonction, le nouveau président sera confronté à d'importants problèmes de sécurité", note Emeka Okoro, analyste sécuritaire pour le groupe d'analyse SBM Intelligence, et il devra s'attaquer à trois fronts majeurs.
Le plus urgent et prioritaire est celui du centre et nord-ouest du Nigeria, selon M. Okoro. Dans ces régions agricoles et pauvres, la compétition féroce pour la terre dégénère fréquemment en affrontements meurtriers entre agriculteurs et éleveurs, où l'absence de justice et de protection du pouvoir a contribué à faire naître des gangs armés, responsables de tueries de masse et d'enlèvements contre rançon. L'armée dit mener des opérations contre ces "bandits", mais les résultats peinent à se faire sentir.
"Les bandits envahissent une communauté, tuent les habitants et détruisent leurs biens, sans résistance ou presque de la part des forces de sécurité, qui n'apparaissent sur place que longtemps après pour regarder les cendres", dénoncaient mi-mai Muhammadu Sa’ad Abubakar III, le Sultan de Sokoto, l'une des régions parmi les plus attaquées.
Conflit jihadiste
Durant sa campagne, M. Tinubu a promis, une fois élu, de mettre fin aux violences en réformant les forces armées pour les rendre "plus robustes", en augmentant les recrutements, la formation et leurs équipements.
Pour la chercheuse Idayat Hassan, directrice du Centre pour la démocratie et le développement (CDD), la nouvelle administration devra s'éloigner "de l'approche centrée sur l'ennemi, centrée sur les armes", qui a prévalu sous la présidence Buhari, pour "adopter une approche non militaire", en s'attaquant aux problèmes sous-jacents, tels que le "chômage, la pauvreté, la lutte contre la marginalisation". Elle insiste sur l'urgence de "réformer la justice".
Autre front sur lequel est très attendu M. Tinubu, le conflit jihadiste qui sévit depuis 14 ans dans le nord-est du pays ayant fait plus de 40.000 morts et 2 millions de déplacés. Sous la présidence de Buhari, l'armée a certes réussi à reconquérir de nombreux territoires pris par le groupe Boko Haram, mais le groupe rival Etat islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap) s'est aussi renforcé. Le choix du vice-président de M. Tinubu en la personne de Kashim Shettima, ancien gouverneur de l'Etat du Borno, épicentre de l'insurrection, peut "faire une grande différence", espère Mme Hassan, même si certains lui reprochent d'avoir laissé croître Boko Haram sous sa gouvernance.
Enfin dans le sud-est du Nigeria, M. Tinubu devra faire face à une agitation de groupes séparatistes, qui attaquent les policiers en nombre, et où la population se sent marginalisée. Il est peu probable que la situation s'améliore, pense Mme Hassan, alors que la défaite lors la présidentielle du candidat Peter Obi, originaire de cette région, a provoqué une immense déception.
Enfin, de nombreux Nigérians espèrent que la nouvelle administration mettra fin aux graves abus commis par les forces de sécurité à travers le pays, et largement documentés par les organisations de défense de droits humains. Tel Human Rights Watch, qui exhorte le nouveau président à inverser "les reculs significatifs en matière de droits de l'Homme" observés sous les mandats Buhari.
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