Fin septembre des centaines de résidents de Baga, grande ville sur les rives du lac Tchad, ont été invités à rentrer chez eux, six ans après une attaque particulièrement sanglante et la prise de la ville par les insurgés.
Ce rapatriement de population, tant attendu par les déplacés eux-mêmes, qui vivent depuis 2014 entassés dans des camps insalubres, sans eau potable et avec peu de distributions alimentaires, devait être un moment important et solennel.
Le gouverneur de l'Etat du Borno, Babagana Umara Zulum, avait d'ailleurs fait le déplacement pour les accueillir dans la ville, qu'il assurait sécurisée par l'armée nigériane.
La journée a fini en bain de sang: les combattants du groupe Etat Islamique en Afrique de l'Ouest (Iswap), branche de Boko Haram affiliée à l'EI, ont mené une embuscade sur le convoi du gouverneur, faisant au moins 30 morts parmi les membres de sa sécurité et les civils. C'était la troisième embuscade menée contre lui depuis son arrivée au pouvoir l'année dernière.
Fin août, les insurgés avaient pris en otages des centaines de civils à Kukawa, dans la région du lac Tchad, alors qu'ils venaient d'être relogés chez eux, deux ans après avoir fui les violences.
Ces "rapatriements" des populations civiles sont une priorité des autorités de l'Etat du Borno depuis plusieurs années.
"Juste un camp plus grand"
Le gouverneur Zulum, comme son prédécesseur, assure qu'accueillir et nourrir les 1,6 million de déplacés qui se sont réfugiés dans la capitale de Maiduguri est tout simplement impossible pour des raisons financières et sanitaires.
Ils doivent rentrer chez eux pour retrouver une vie "digne", a-t-il récemment déclaré, malgré les nombreuses mises en garde et objections des ONG basées dans la région, qui dénoncent les violences qui n'ont pas disparu malgré les déclarations victorieuses de l'armée.
En effet, pour la grande majorité des "déplacés", ces "rapatriements" dans les villes "sécurisées" par l'armée nigériane sont juste des transferts vers d'autres camps, encore plus reculés.
"On a quitté Maiduguri dans l'idée de vivre une vie normale, comme avant la guerre, mais en réalité, on est juste retournés dans un camp encore plus grand, où notre survie dépend des mêmes distributions alimentaires", raconte à l'AFP Gana Ibrahim, un habitant de Baga.
"On ne peut toujours pas cultiver nos champs, ni aller chercher du bois de chauffe dans la forêt, au risque d'être tué ou kidnappé", se désole-t-il.
L'Iswap utilise les pourtours marécageux du lac Tchad et ses îles peu accessibles comme bases de repli ou camps d'entraînement et a fait de cette région son bastion.
Selon des témoignages de pêcheurs, les combattants islamistes ont d'ailleurs interdit l'accès à certains villages aux "retournés" de Maiduguri, les menaçant de mort s'ils revenaient chez eux.
"Pire moment"
Ses combattants font payer des taxes aux populations sur la pêche, ou sur certains axes routiers, en échange de leur "protection": un manque à gagner extrêmement important pour les autorités dans cette zone frontalière très empruntée, carrefour entre le Nigeria, le Tchad et le Cameroun.
Les pourtours du lac sont devenus ces derniers mois l'épicentre des violences, et pour Shehu Sani, ancien sénateur et ancien négociateur dans les processus de paix, même si "le gouverneur du Borno est courageux et veut le meilleur pour son peuple, renvoyer les déplacés là-bas, c'est les jeter dans la gueule du loup".
Ces dernières semaines, l'armée nigériane a mené de nombreux raids aériens contre les bases des insurgés, tuant de nombreux combattants et trois importants commandants.
"Le renvoi des populations civiles n'auraient pas pu arriver à un pire moment", explique une source sécuritaire sous couvert d'anonymat.
"Les insurgés ont été particulièrement affectés par ces pertes, et vont se venger d'une manière brutale", a mis en garde un autre spécialiste du conflit dans une interview avec l'AFP.
Le gouverneur Zulum a répété à de nombreuses reprises qu'il reprendrait contrôle des territoires occupés par les jihadistes, et réussirait à faire évacuer les camps de déplacés à Maiduguri, de plus en plus impopulaires au sein de la population locale: promesses politiques que son prédécesseur, Kashim Shettima, n'avait jamais réussi à tenir.
Les insurgés, de leur côté, paraissent déterminés à s'opposer à sa personne, en le visant directement dans des attaques organisées.
"Les civils déplacés sont pris en étau dans une guerre d'égo", déplore cette même source sécuritaire. "Et ce seront eux, à la fin, qui en payeront le prix".