Au Nigeria, les membres d'un mouvement chiite réclament la libération de leur chef, le cheik Ibrahim Zakzaky, arrêté il y a plus de trois semaines par l'armée et détenu au secret.
Des affrontements meurtriers entre des fidèles de ce mouvement et l'armée en décembre font craindre à certains un risque de dérive violente de ce mouvement, dans un scénario à la Boko Haram.
L'armée et la police assurent que le cheikh Zakzaky, 62 ans, à la tête du Mouvement islamique du Nigeria (IMN), est toujours en vie et qu'il se porte bien. Mais on est sans nouvelles de lui depuis son arrestation le 13 décembre, et l'IMN s'inquiète de son état de santé.
Selon Human Rights Watch (HRW), "au moins 300" membres de ce mouvement, qui revendique la création d'un Etat islamique à l'iranienne, ont été tués par balles par des soldats lors d'un assaut qui avait débuté le 12 décembre à Zaria, une cité historique de l'Etat de Kaduna (nord).
Selon l'armée, qui n'a pas publié de bilan et qui dément formellement les accusations de HRW, les fidèles chiites avaient attaqué le convoi du chef d'état-major des armées nigérian, le général Yusuf Buratai, et tenté de l'assassiner --une version démentie par l'IMN.
Trois des fils de M. Zakzaky, son adjoint, le porte-parole et le chef de la sécurité du groupe auraient été tués au moment où l'armée attaquait le domicile du dignitaire religieux, qui a été détruit.
Sur le plan diplomatique, l'Iran suit le dossier de très près et a déjà exprimé son inquiétude. Des manifestations ont même été organisées devant l'Ambassade du Nigeria à Téhéran, dans un contexte de forte tension entre islam chiite et sunnite relancée par la crise entre l'Arabie Saoudite et l'Iran depuis début janvier.
Le Nigeria compte, essentiellement dans sa moitié nord, 80 millions de musulmans d'obédience sunnite - soit la moitié de la population du pays, le plus peuplé d'Afrique. Les chiites n'y forment qu'une petite minorité. Le Mouvement islamique du Nigeria a déjà été la cible d'attaques du groupe islamiste sunnite Boko Haram.
- "Tromperie et manipulation" -
Les déclarations contradictoires des services de sécurité nigérians sur le lieu de détention de M. Zakzaky n'ont fait qu'attiser les soupçons et l'inquiétude des membres de l'IMN, de plus en plus en colère.
M. Zakzaky aurait été grièvement blessé par balles durant l'assaut des forces de l'ordre. Certains ont donc pensé que la police avait préféré le garder assez longtemps pour qu'il récupère, craignant des représailles de la part de l'IMN si leur chef était libéré dans un tel état.
"Qui devons-nous croire? Tout cela empeste la tromperie, la conspiration et la manipulation pure et simple", s'est indigné l'IMN dans un communiqué publié lundi.
La déclaration alambiquée mardi de la porte-parole de la police fédérale, Olabisi Kolawole, n'a rien arrangé. Le cheikh Zakzaky "est en sécurité" et "va très bien", a-t-elle dit avant d'ajouter : "je ne peux pas vous dire où il est détenu et s'il est avec nous ou non".
Des députés nigérians ont rencontré le mois dernier des représentants de l'IMN qui leur ont assuré que si M. Zakzaky était libéré, cela mettrait fin aux tensions avec l'armée.
"Ce ne serait pas dans l'intérêt du Nigeria que les chiites se sentent aliénés. Le fait (de la part des députés) de s'engager à leurs côtés est très important, parce que ça leur donne un sentiment d'appartenance et ça dissipe leurs craintes", estime Abubakar Sadiq Mohammed, professeur de sciences politiques à l'université de Zaria.
Abdullahi Bawa Wase, expert pour les questions de sécurité, rappelle le cas du groupe islamiste Boko Haram, qui était à l'origine un mouvement religieux fondamentaliste, et qui a basculé dans la clandestinité et l'insurrection armée après la violente répression de ses militants --qui avait fait 800 morts -- et l'assassinat de son chef, Mohammed Yusuf, par la police en 2009.
L'insurrection de Boko Haram, qui dure depuis cette période, a couté 17.000 vies, et fait 2,6 millions de déplacés.
"Si M. Zakzaky meurt, cela risque d'être vu comme un meurtre (...) et cela peut conduire à des manifestations spontanées de ses partisans et à un nouveau bain de sang pour les contenir", estime M. Bawa Wase.