La saison des pluies est presque là, dans le nord-est du Nigeria. Mais les agriculteurs, qui ont fui les violences de Boko Haram, ne sont pas retournés dans leurs villages et les champs risquent de rester en jachère une année de plus.
"Si on loupe une nouvelle récolte, la crise alimentaire va empirer", s'inquiète Mohammed Rijiya, le président de la chambre de commerce de l'Etat de Borno.
"On ne peut pas continuer à nourrir les déplacés, dans les camps. Il faut qu'ils rentrent chez eux et qu'ils se remettent à cultiver", poursuit-il.
Le Borno est un des Etats les plus durement touchés par l'insurrection islamiste, qui a fait plus de 17.000 morts et 2,6 millions de déplacés en un peu plus de six ans.
Des villes et des villages entiers ont été désertés à la suite d'attaques de Boko Haram, et les déplacés ont trouvé refuge chez l'habitant ou dans des camps, dans les grands centres urbains de la région.
Les champs sont restés inexploités pendant plusieurs années, les stocks de céréales pillés par les islamistes, les routes bloquées, empêchant la circulation des marchandises, les réserves de nourriture sont de plus en plus maigres dans les campagnes, et même dans les villes, dépassées par le flux des déplacés.
Le Programme alimentaire mondial (PAM) a estimé en février que quelque 5,6 millions d'habitants du bassin du lac Tchad --qui regroupe le nord-est du Nigeria, le nord du Cameroun, le sud-est du Niger et le sud-ouest du Tchad-- sont touchés par l'"insécurité alimentaire".
Selon le PAM, 32 millions de dollars (29 millions d'euros) sont nécessaires pour répondre aux besoins les plus immédiats de ces quatre pays dans les six prochains mois.
L'année dernière, près de 6.500 enfants ont souffert de malnutrition sévère dans les camps de déplacés du Borno, selon les autorités sanitaires.
280 marchés fermés
Les islamistes ont pris la fuite face à une contre-offensive militaire de longue haleine et les acteurs économiques considèrent que le commerce est essentiel à la reconstruction de cette région.
Mais, insiste M. Rijiya, "le gouvernement doit s'assurer du retour de la sécurité dans les endroits affectés par les violences (...) pour que la vie normale puisse reprendre".
Pour l'instant, l'ensemble des 280 marchés ruraux du Borno sont toujours fermés pour des raisons de sécurité. Les autorités nigérianes craignent aussi d'alimenter les chaînes d'approvisionnement de Boko Haram en rouvrant tous les marchés.
Quatre autres marchés au bétail du Borno ont été fermés la semaine dernière, les autorités ayant reçu des informations selon lesquelles les islamistes y faisaient du commerce.
Ces fermetures, et celle du principal marché au bétail de Maiduguri, la capitale de l'Etat, ont entraîné une pénurie de viande.
Pourtant "ce sont ces marchés ruraux qui font tourner l'économie locale du Borno (...) tant que ces marchés seront fermés, notre calvaire sera sans fin", déplore M. Rijiya.
L'armée nigériane a récemment annoncé avoir sécurisé et rouvert les routes allant de Damboa à Biu et de Maiduguri à Gamboru, deux grands axes souvent attaqués.
Mais pour Abubakar Gamandi, qui dirige le syndicat des pêcheurs de l'Etat de Borno, "la situation sécuritaire est encore précaire", et "seuleMaiduguri est (vraiment) sûre".
A peine "parcourt-on trois kilomètres à l'extérieur de la ville qu'on est en proie à des attaques de Boko Haram. Les hommes armés ne sont pas loin", dit-il. Et pour aller jusqu'à Gamboru, il faut une escorte militaire, selon lui.
Pour Babagana Umara, commissaire de l'Etat de Borno chargé du programme de reconstruction et de réhabilitation des régions dévastées, dans lesquelles on doit réacheminer les déplacés, il faudra de longues années et des ressources financières très importantes pour y parvenir.
Plusieurs commerçants ont proposé de percevoir une compensation financière, à la place, afin de reconstruire à leur rythme, et de permettre à l'économie locale de repartir.
Pour Bundi Abba, à la tête du syndicat des compagnies de bateau à Baga, sur les rives du lac Tchad, la priorité est de ramener "la sécurité" et de "relancer le commerce". "Une fois que ce sera fait, on pourra reconstruire nos vies".
AFP