Le pas lent, il s'avance dans la cour familiale de sa ville natale, Umuahia (sud-est du Nigeria), acclamé en "sauveur" par une foule de partisans aux couleurs rouge-noir-vert du drapeau biafrais. Lui a revêtu les oripeaux d'un chef traditionnel.
"Je suis plus déterminé que jamais", annonce tranquillement à l'AFP le chef de file du mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (Ipob), libéré sous caution fin avril après dix-mois derrière les barreaux.
Encore sous le coup d'accusations de "trahison", il semble n'avoir que faire des conditions qui lui ont été imposées par la justice à sa sortie : interdiction formelle de parler à la presse et de participer à des rassemblements de plus de 10 personnes.
Pas question pour lui de rester silencieux à l'approche de la date clé: le cinquantenaire mardi de la proclamation de l'indépendance du Biafra, région déshéritée du sud-est du Nigeria qui fut le théâtre d'une sanglante guerre civile entre 1967 et 1970.
Son objectif ? La "désobéissance civile" jusqu'à l'organisation d'un référendum d'autodétermination pour la région. Il appelle pour cela au "boycott absolu" de toutes les élections.
Après la mort de plus d'un million de personnes et l'échec d'une rébellion à bout de souffle, le Biafra avait fini par réintégrer le Nigeria, mosaïque ethnique et religieuse de près de 200 millions d'habitants régulièrement secouée par des tensions intercommunautaires.
Mais en territoire igbo, le rêve d'indépendance ne s'est jamais vraiment dissipé, alimenté par le sentiment d'abandon du pouvoir nigérian.
A tour de rôle, vétérans et jeunes militants se pressent pour écouter les talents d'orateur du quadragénaire aux lunettes rondes qui a ressuscité la cause. Dans le salon où il reçoit, une peinture grandeur nature recouvrant tout un mur représente le fils prodigue dans une posture martiale.
Le leader dénonce pêle-mêle les "tueries" et les "viols" dont sont victimes les Igbos de la part des forces de sécurité, la "politique délibérée" menée par le président musulman Muhammadu Buhari "pour appauvrir" son peuple.
Son enfance passée à Umuahia, ancienne capitale du Biafra indépendant, à quelques mètres de l'ancien bunker des forces armées biafraises, n'est sans doute pas étrangère à son engagement politique.
Il était à peine né durant la guerre - il refuse de donner son âge - mais l'aîné d'une fratrie de cinq enfants est bercé très jeune par les récits de son père, qui a soutenu logistiquement la résistance.
- Tribu perdue d'Israël -
Inconnu de la plupart des Nigérians il y a encore deux ans, le militant indépendantiste a longtemps lancé ses diatribes virulentes à l'encontre du pouvoir central depuis Londres, où il s'installe à la fin de ses études, et crée la station pirate Radio Biafra en 2009.
Il travaille dans l'immobilier et milite la nuit sur les ondes de sa radio. Il rejoint pour un temps un autre groupe indépendantiste, le Mouvement pour la réalisation de l'Etat souverain du Biafra (Massob), dont il claquera la porte pour fonder l'Ipob en 2013.
Kanu franchit la ligne rouge lorsqu'il appelle ouvertement à prendre les armes deux ans plus tard, au Congrès mondial Igbo à Los Angeles: "Nous avons besoin d'armes et nous avons besoin de balles (...) Si nous n'obtenons pas (la création du) Biafra, tout le monde devra mourir".
Il est arrêté à son hôtel en octobre 2015, lors d'une visite au Nigeria.
Cette arrestation était "inappropriée et injustifiée", estime le politologue et universitaire nigérian Fred Anibeze. "Il utilisait la cause du Biafra pour se faire de la publicité facile via la diffusion de Radio Biafra et ça a renforcé le demi-dieu qu'il est devenu depuis sa sortie", affirme-t-il à l'AFP.
Son incarcération provoquent la colère des Igbos et plusieurs manifestations organisées pour réclamer sa libération tournent au bain de sang.
Selon Amnesty International, les forces de sécurité nigérianes ont tué "au moins 150 membres et partisans de l'organisation pro-Biafra Ipob" au cours de l'année 2016, ce qu'Abuja nie en bloc.
Kanu incarne "les aspirations d'une nouvelle génération plus militante, plus radicale" que ses aînés qui ont déjà connu la guerre, assure Don Okereke, analyste en sécurité. "Il dit aux gens exactement ce qu'ils ont envie d'entendre".
S'il est difficile de connaitre avec précision sa capacité de mobilisation dans le sud-est du pays, ses fidèles vouent quasiment un culte à sa personne depuis sa sortie. Il faut dire que Kanu entretient la légende, en permanence protégé par un impressionnant service de sécurité, qui fouille minutieusement chacun de ses visiteurs.
La religion est omniprésente dans les discours de celui qui porte désormais le talit (le voile juif) et observe le shabbat. Tout est parti d'une "vision révélatrice" lors d'un voyage à Jérusalem: les Igbo - dont l'immense majorité sont chrétiens - descendent en fait d'une tribu perdue d'Israël.
Le Biafra est la "terre promise" qu'il s'est donné pour mission de rétablir. Et à l'Ipob, on porte désormais la kippa.
Avec AFP