Il aura peut-être suffi de quatre jours pour changer la face des négociations. Tout est parti vendredi de la présentation par la Première ministre Theresa May d'une proposition, le "plan de Chequers", prévoyant la création d'une zone de libre-échange pour les biens entre le Royaume-Uni et l'UE.
L'objectif est clair - conserver une relation commerciale étroite avec les 27 -, et passerait par la mise en place d'un "ensemble de règles communes".
Ce plan est immédiatement interprété par les tenants d'un Brexit dur comme une trahison du vote des Britanniques pour la sortie de l'UE, dont David Davis, ministre du Brexit, et Boris Johnson, ministre des Affaires étrangères, qui claquent la porte du gouvernement, dimanche pour le premier, lundi pour le second.
"Le rêve (du Brexit) est en train de mourir", lâche dans sa lettre de démission Boris Johnson.
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Ces départs retentissants ont fait violemment tanguer Mme May mais ils pourraient au final lui permettre d'avancer ses pions comme elle le souhaite désormais, et à l'aune d'un réalisme dont le gouvernement britannique manquait jusqu'ici, estiment les analystes.
En bref, après avoir longtemps tenté de faire l'impossible synthèse entre les aspirations des "brexiters" et des "remainers" (pro-UE), Theresa May semble avoir pris le parti d'opter plutôt pour faire ce qui relève du possible.
"La situation exige un réalisme impitoyable", a souligné l'ancien ministre William Hague, une voix influente au sein du parti conservateur de la Première ministre, dans le quotidien The Daily Telegraph.
Pour le journal The Guardian, le remaniement gouvernemental opéré a abouti à un exécutif "plus pragmatique, plus souple" et "moins marqué idéologiquement".
L'hebdomadaire conservateur The Spectactor va plus loin, y voyant "un coup d'Etat des remainers (qui) occupent désormais tous les postes les plus importants", une référence au remplacement de Boris Johnson par Jeremy Hunt, qui s'est certes rallié derrière les pro-Brexit, mais avait soutenu le maintien dans l'UE en 2016.
"Le gouvernement est maintenant clairement constitué de pragmatiques", analyse de son côté Steve Peers, de l'Université de l'Essex, interrogé par l'AFP. Quant aux "rêveurs", qui refusent tout compromis sur le Brexit, ils sont "désormais cantonnés aux bancs de l'assemblée. Mais le temps dira si cela durera".
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Car Theresa May n'est pas à l'abri d'une réaction, voire d'une rébellion des députés eurosceptiques, le Parlement devant encore examiner plusieurs projet de loi liés au Brexit, et pourrait avoir son mot à dire sur l'accord final négocié avec Bruxelles.
"Comment diable Mme May réussira-t-elle à passer le Parlement quand sa majorité dépend des eurosceptiques qui sont opposés au plan de Chequers, et qui pour beaucoup d'entre eux se réjouiraient de voir le Royaume-Uni sortir de l'UE sans accord?", interroge Constantine Fraser, du cabinet d'analystes TS Lombard.
En attendant, Theresa May, tant de fois décrite comme une dirigeante en position de faiblesse, "semble avoir été renforcée, au moins à court terme, par les démissions de Davis et Johnson", deux poids lourds qui ne manquaient pas de s'opposer à la Première ministre dans les orientations sur le Brexit, avance l'expert.
"Les eurosceptiques les plus engagés ont décidé de renoncer à toute influence au sein du gouvernement, et il semble clair que la droite du parti (conservateur) n'a pas les moyens de renverser May, du moins pas en pleine négociation sur le Brexit", ajoute-t-il.
Du côté des Européens, qui ces dernières semaines n'avaient pas caché leur impatience alors que la date du Brexit, prévu le 29 mars 2019, se rapproche à grands pas, les premières réactions semblent avaliser le souffle du changement venant de Londres.
"Si le Royaume-Uni est capable d'assouplir certaines de ses lignes rouges, alors l'Union européenne aussi devrait être flexible", a souligné le Premier ministre irlandais Leo Varadkar. "Je pense que nous sommes peut-être en train d'entrer dans une telle phase."
Avec AFP