En réintégrant l'Iran, grand rival chiite de l'Arabie saoudite, dans le jeu diplomatique, en renonçant à intervenir en Syrie contre le régime de Bachar al-Assad mais aussi en affirmant haut et fort que l'Amérique avait d'autres priorités - Asie en tête - que le seul Moyen-Orient, le président des Etats-Unis a rebattu les cartes. Et ulcéré les monarchies sunnites, partenaires de longue date des Etats-Unis.
Après une rencontre mercredi avec le roi Salmane, M. Obama participera jeudi à un sommet avec les pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Oman). En mai 2015, en pleines négociations avec Téhéran sur son programme nucléaire, il avait réuni ces derniers à Camp David.
A neuf mois de son départ, M. Obama sait que la partition est difficile. Il devrait insister sur la coopération dans la lutte contre les djihadistes du groupe Etat islamique. Et marteler que Washington n'entend pas baisser la garde face aux "activités déstabilisatrices" de Téhéran (soutien au régime Assad en Syrie, au Hezbollah au Liban ou encore aux Houthis au Yémen).
"Nous ne savons pas pourquoi il vient", lance Mustafa Alani, du Gulf Research Center, fondé par un homme d'affaires saoudien. Cette visite n'est "pas importante" pour les monarchies du Golfe, assène l'analyste, très remonté après les propos du président américain dans The Atlantic.
Dans cet article, publié mi-mars, M. Obama exprimait avec une réelle franchise sa vision de la région, rejetant l'approche consistant à dire que "l'Iran est la source de tous les problèmes".
"La compétition entre les Saoudiens et les Iraniens, qui a contribué à alimenter des guerres par procuration et le chaos en Syrie, en Irak et au Yémen, nous oblige à dire à nos amis ainsi qu'aux Iraniens qu'ils doivent trouver un moyen efficace de partager leur voisinage et d'instaurer une forme de paix froide", expliquait-il. Une formulation longtemps impensable dans la bouche d'un président américain.
- 'Mariage dans une passe difficile' -
A l'approche de ce voyage, l'exécutif américain a tenté une explication de texte apaisante.
Pour Rob Malley, conseiller du président pour le Moyen-Orient et le Golfe, il n'y a "aucune confusion possible" sur le fait de savoir "qui est notre partenaire". Cependant, ajoute-t-il en termes soigneusement choisis, "si les monarchies du Golfe et l'Iran peuvent faire évoluer leurs relations, le président est convaincu que ce sera bon pour la région et pour la stabilité du monde en général".
La Maison Blanche met aussi en avant les avancées récentes, même si encore embryonnaires, dans la résolution des conflits qui déchirent la zone: fragile cessation des hostilités en Syrie en dépit des combats dans la région d'Alep, récent cessez-le-feu au Yémen.
Les monarques du Golfe ont, eux, les yeux rivés vers le scrutin présidentiel du 8 novembre et espèrent que le prochain locataire de la Maison Blanche, démocrate ou républicain, sera plus sensible à leurs arguments. Ils pourraient cependant être déçus.
"Nos partenaires du Golfe souhaiteraient évidemment un retour à la relation d'avant. Mais la région a tellement changé, ce serait beaucoup plus compliqué", estime Lori Plotkin Boghardt, ancienne analyste de la CIA qui travaille aujourd'hui au Washington Institute for Near East Policy.
Facteur de discorde supplémentaire : un projet de loi à l'examen au Congrès vise à permettre aux tribunaux américains d'examiner la responsabilité de l'Arabie saoudite dans les attentats du 11-Septembre. L'administration Obama n'est pas favorable au texte mais son existence même est source de tensions avec Ryad.
Nombre d'observateurs soulignent cependant qu'en dépit de divergences réelles, le partenariat entre les Etats-Unis et le riche royaume pétrolier, qui remonte à 1933, n'est pas fondamentalement menacé.
"C'est comme un mariage dans une passe difficile", résume Lori Plotkin Boghardt. "Il y des malentendus et des frustrations mais demeure malgré tout la volonté de rester ensemble car chacune des parties bénéficie de manière importante du contrat."
A l'issue de ce qui pourrait être son dernier déplacement dans la région, M. Obama s'envolera pour retrouver d'autres alliés avec lesquelles les relations sont moins tumultueuses : le Royaume-Uni et l'Allemagne.
Avec AFP