"J'étais en train de faire la lessive lorsque j'ai entendu des coups de feu qui nous ont effrayés et nous avons décidé de fuir le village", raconte Mariatou Badjie, 42 ans, habitante de Karinorr, récemment rentrée dans cette localité du sud de la Gambie frontalière du Sénégal.
Partie avec ses "trois filles, [sa] grand-mère et [ses] deux garçons", Mme Badjie dit avoir reçu un bon accueil dans les localités ou elle a été accueillie temporairement et être rentrée chez elle grâce "aux garanties offertes par les Forces armées de Gambie" qui "patrouillent ici tous les trois ou quatre jours".
Mais la vie est encore loin d'avoir repris un cours normal.
"Nous dépendons de la culture de la noix de cajou pour survivre, mais en ce moment, il n'est même pas question d'aller aux champs à cause de l'insécurité", explique cette femme rencontrée par l'AFP à l'occasion d'une tournée organisée par l'armée gambienne dans la zone frontalière.
"Quand nous avons un peu d'argent, nous allons acheter un ou deux poissons que nous gardons pour notre repas du soir", ajoute-t-elle.
L'armée sénégalaise a lancé le 13 mars une opération militaire en vue de "démanteler" les bases du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC).
Depuis lors, les autorités gambiennes ont recensé près de 5.500 déplacés internes et 7.700 réfugiés venus du Sénégal, selon l'Agence nationale de gestion des crises (NDMA) transmis à l'AFP.
La Casamance, séparée du nord du Sénégal par la Gambie, est le théâtre d'un des plus vieux conflits du continent africain, ayant fait plusieurs milliers de morts depuis que des indépendantistes ont pris le maquis avec un armement rudimentaire après la répression d'une marche du MFDC en décembre 1982.
"Protéger les animaux"
Les rebelles casamançais, accusés de faire du trafic de bois et de cannabis, se sont souvent réfugiés en Gambie.
L'armée gambienne a indiqué que plusieurs obus avaient explosé sur le sol gambien depuis le lancement de l'offensive sénégalaise contre le MFDC, et que les rebelles avaient installé un barrage dans la zone frontière.
Mais "nous avons protégé la frontière pour faire en sorte qu'aucune intervention armée n'ait lieu à l'intérieur de notre pays", déclare le lieutenant-colonel Omar Bojang aux journalistes accompagnés dans la zone.
"Nous avons été en mesure de protéger les animaux en l'absence de leurs propriétaires. Nous leur donnions à boire et avons fait en sorte qu'ils survivent", ajoute-t-il.
"Depuis que nous sommes rentrés, nous n'entendons que des coups de feu par série, mais c'est fréquent", remarque Butty Colley, la trentaine, rencontrée à Gilanfary, autre village de la zone frontalière.
A Upart, l'imam de la mosquée, Almamy Gibba, 63 ans, assure que son village a accueilli des réfugiés de Casamance et que la population a dû se débrouiller seule pour les nourrir, jusqu'à ce qu'ils repartent "dans leurs villages en Casamance".
"Tout ce que nous avons reçu (du gouvernement), ce sont des tentes. Mais avant d'offrir un abri à quelqu'un, il faut lui fournir de quoi se nourrir", ajoute-t-il, affirmant avoir "accueilli neuf familles" et que "ça a été très difficile".
A Ballen, le chef du village, Ebrahima Bojang, souligne que les habitants ont "beaucoup souffert" ces dernières semaines, et il exprime sa gratitude aux militaires qui, par leurs patrouilles, permettent à la population de vivre "en sécurité".
"Cependant, nous ne sommes pas tout à fait sûrs que tout soit terminé car nous entendons dire que les soldats sénégalais sont dans la zone et qu'ils se cachent", dit-il, déplorant des pertes de bétail.
Au Sénégal, l'armée communique au compte-gouttes sur ses opérations. Dans son dernier communiqué remontant au 9 avril, elle affirmait avoir repris plusieurs "bases rebelles" produisant du chanvre indien.