Amira Khammassi travaille comme agent de sensibilisation pour l'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Depuis le début de la campagne d'inscription (19 juin - 10 août), elle parcourt les rues, visite les lycées et arpente les centres commerciaux.
Mais selon elle, très peu de gens viennent s'inscrire "tout seuls".
"Les élections (présidentielle et législatives) de 2014 n'ont rien changé et le développement de la Tunisie est presque à l'arrêt", dit-elle à l'AFP. "Certains préfèrent ne rien faire car ils n'ont plus d'espoir."
Malgré "des signes de détente" selon les autorités, la Tunisie peine toujours à faire redémarrer son économie et le chômage reste élevé, notamment chez les jeunes.
Gestion défaillante
Prévu pour le 17 décembre, six ans jour pour jour après l'immolation du jeune vendeur ambulant Mohamed Bouazizi, point de départ de la révolution tunisienne, le scrutin est censé ancrer le processus démocratique à l'échelle locale.
Il pourrait aussi permettre d'améliorer un quotidien dont la dégradation, depuis 2011, irrite les Tunisiens. Car dans la foulée du soulèvement, les municipalités ont été dissoutes et remplacées par des équipes provisoires. La gestion des villes est devenue défaillante, le ramassage des ordures aléatoire.
Pourtant, nombreux sont les Tunisiens à se dire indifférents à ces premières municipales depuis la révolution.
"Les Tunisiens ne croient plus aux politicards, aux partis et même à la (société) civile. On n'y croit plus (...) parce que ça parle, ça parle et on ne voit rien" se concrétiser, lâche Najet, une enseignante, venue malgré tout s'inscrire parce qu'elle connaît "personnellement" de futurs candidats.
Une grande partie des jeunes Tunisiens "se fiche (des élections). Ils se disent: +et si untel ou untel arrive au pouvoir, en quoi ça nous concerne?+ (...) Les pauvres vont rester pauvres, ça ne va rien changer", déplore Ichrak Bahri, 20 ans.
Les partis politiques ne se montrent pas non plus pressés de participer au scrutin. Certains réclament son report tandis que d'autres semblent déjà se positionner en vue de la bataille suivante: les législatives et la présidentielle de 2019.
L'Isie a elle-même été agitée par des remous. Son président Chafik Sarsar, une personnalité respectée qui a mené à bien les élections de 2014, a démissionné avec fracas en mai en laissant entendre qu'il ne pouvait plus travailler de manière "transparente" et impartiale".
Multiples efforts
Face à ce contexte difficile, l'instance dit faire son possible pour encourager les inscriptions: spots télé et radio, campagne d'affichage, bureaux à la Poste ou dans les hypermarchés et stands ambulants.
Mais "les partis politiques et la société civile ne sont pas engagés comme c'était le cas en 2011 et 2014", pour les élections de l'Assemblée constituante puis les législatives et la présidentielle, affirme à l'AFP Salah Riahi, responsable de l'Isie à Tunis.
Or "ces gens qui n'étaient pas sur le registre électoral en 2011 et en 2014, c'est la partie la plus difficile" à convaincre, parce qu'ils "ne s'intéressent pas à la question des élections", juge M. Riahi.
Sur un corps électoral d'environ huit millions de personnes pour 11 millions d'habitants, près de cinq millions de Tunisiens sont inscrits depuis les dernières élections.
A quelques jours de la fin des inscriptions, l'Isie a enregistré quelque 421.000 nouveaux votants, sur trois millions de nouveaux électeurs potentiels.
Tranchant avec la morosité ambiante, certains électeurs se disent enthousiastes.
Aïcha Maherzi, 19 ans, votera pour la première fois de sa vie le 17 décembre. Elle regrette de voir que sa "génération ne s'intéresse pas aux élections".
"Mes amis se moquent de moi, alors que c'est moi qui devrais me moquer d'eux" parce qu'ils ne veulent pas voter, lâche-t-elle en riant.
Aïcha ne perd toutefois pas espoir. Elle en est sûre: ces élections pourraient signer le début d'une amélioration des "infrastructures", de "la propreté" et de "l'environnement".
Avec AFP