Les conséquences de ce geste symbolique restent pour l'heure incertaines: les autorités avaient averti qu'une telle investiture pourrait constituer un acte de "trahison", soulevant la possibilité d'une arrestation, à haut risque, de M. Odinga.
Mais l'opposant n'a pas prononcé le même serment que celui prévu par la Constitution pour l'investiture du chef de l'Etat, se proclamant par exemple "président du peuple", et non "président", devant une foule en délire rassemblée dans un parc du centre de la capitale kényane.
C'est Bible en main que M. Odinga a prêté serment, lors d'une cérémonie aussi courte que chaotique.
"Moi, Raila Amolo Odinga (...), je prends la fonction de président du peuple de la République du Kenya", a déclaré l'opposant, qui avait reporté une cérémonie d'investiture initialement prévue en décembre. "Nous avons tenu notre promesse".
M. Odinga, 73 ans, refuse de reconnaître la réélection du président sortant Uhuru Kenyatta en 2017, accompagnée de mois de troubles qui ont fait 92 morts, selon des défenseurs des droits de l'homme, principalement dans la répression de manifestations de l'opposition. M. Odinga estime que la victoire à la présidentielle lui a une nouvelle fois été volée.
Signe d'un possible désaccord au sein de la coalition d'opposition Nasa, plusieurs de ses responsables étaient absents mardi, le plus notable d'entre eux étant le colistier de M. Odinga à l'élection de 2017, Kalonzo Musyoka.
L'annonce de cette prestation de serment alternative avait fait craindre des violences mais, chose rare, les forces de l'ordre ont gardé leurs distances avec la foule, qui s'est rapidement dispersée une fois la cérémonie achevée.
Mais le ministre de l'Intérieur Fred Matiang'i a qualifié de "groupe criminel organisé" le Mouvement national de résistance lancé par M. Odinga, qui doit mettre en oeuvre un programme de boycott et de désobéissance civile.
Saga électorale
Les Kényans étaient appelés en 2017 à choisir leur président, mais cet exercice démocratique s'est assimilé à une véritable saga: un premier vote avait eu lieu le 8 août, remporté par M. Kenyatta, mais le résultat avait été annulé par une décision historique de la Cour suprême et un nouveau scrutin organisé le 26 octobre.
Affirmant que l'élection ne pouvait être crédible, M. Odinga avait boycotté le vote d'octobre. M. Kenyatta l'avait dès lors emporté avec 98% des voix, avant d'être officiellement investi fin novembre.
A la veille de l'investiture de M. Odinga, les patrons de presse ont publié un communiqué assurant que le président Kenyatta les avait convoqués pour menacer de "fermer et retirer les licences de tout média qui retransmettrait en direct" la cérémonie.
Certaines chaînes de télévision ont toutefois défié l'interdiction et une des principales, Citizen TV, a rapporté en ligne mardi matin que ses transmissions avaient été coupées par l'autorité des communications. La retransmission s'est malgré tout poursuivie sur son site web.
"Ils ont peur, ils ne veulent pas que le monde voie ce qu'il se passe, ce que veut le peuple", a déclaré un homme une pierre à la main, attendant la venue de M. Odinga, qui avait déjà reporté une cérémonie d'investiture alternative en décembre.
'Jeu dangereux'
Dans le parc Uhuru de Nairobi, des gens ont défilé des sifflets à la bouche et des branchages à la main, tandis que des banderoles clamaient "Raila Odinga président du peuple".
Un homme d'affaires en costume qui a demandé l'anonymat a expliqué à l'AFP que la cérémonie d'investiture avait une valeur symbolique. "Cela fait du bien au moral des gens de sentir qu'on entend leurs voix", a-t-il expliqué.
Depuis son boycottage de l'élection d'octobre, la Nasa a eu pour stratégie de contester la légitimité du président Kenyatta en cherchant à créer des structures de gouvernement parallèles. Des "assemblées du peuple" se sont réunies dans certains comtés et l'investiture de M. Odinga comme "président du peuple" doit marquer l'apogée du processus.
Le centre d'analyse International Crisis Group s'est inquiété dans un communiqué que MM. Odinga comme Kenyatta "jouaient un jeu dangereux" dans un pays divisé et où des violences politico-ethniques avaient fait un millier de morts après l'élection de 2007.
"Etant donné la profonde polarisation sociale et des antécédents d'affrontements violents entre la police et les manifestants, les actions des deux dirigeants risquent de se traduire par un bain de sang significatif", écrit l'ICG.
Avec AFP