Les vaches aux cornes et mamelles exacerbées, les antilopes, les girafes ou encore les chasseurs représentés sur ces parois offrent un aperçu de la vie des hommes qui peuplaient entre 3.500 et 2.500 ans av. J.-C ces steppes aujourd'hui désertiques.
"Ce sont des peintures uniques. On ne les trouve nulle part ailleurs en Afrique", s'enthousiasme Abdisalam Shabelleh, le responsable du site situé à une cinquantaine de kilomètres d'Hargeisa, la capitale du Somaliland.
Puis ce fonctionnaire du ministère du Tourisme montre d'autres peintures, affadies, sur le bas de la paroi. Sa main effrite légèrement le granit qui tombe immédiatement en poussière. Son visage se referme.
"Si on ne fait rien maintenant, dans 20 ans tout cela pourrait bien avoir disparu", lance-t-il gravement. Fragilisé par le ruissellement des eaux de pluie et l'augmentation du nombre de visiteurs, Laas Geel est aujourd'hui "un patrimoine en péril", assure Abdisalam Shabelleh.
Considéré comme l'un des sites de peintures rupestres les plus anciens et les mieux préservés d'Afrique, Laas Geel n'est protégé que par quelques gardes qui découragent mollement les visiteurs de toucher les peintures du doigt et par le relatif isolement du Somaliland, petite république autoproclamée qui a fait sécession de la Somalie en 1991.
"Ce site doit être protégé, mais nous n'avons ni les connaissances, ni l'expérience, ni les ressources financières. Nous avons besoin d'aide", lance Abdisalam Shabelleh.
Casse-tête juridique
Les demandes d'aide des autorités du Somaliland sont restées lettre morte.
Le Somaliland n'est officiellement reconnu par aucun pays et est toujours considéré par la communauté internationale comme partie intégrante de la Somalie.
"On se heurte à l'absence de reconnaissance du Somaliland", regrette Xavier Gutherz, ancien chef de la mission française qui a découvert le site en 2002.
Stupéfait par l'état de conservation des peintures et leur style jusqu'ici inconnu, l'archéologue avait alors rapidement demandé un classement du site au patrimoine mondial de l'Unesco. Sans résultat.
L'Unesco a dépêché en 2010 une mission d'experts, mais l'organisation oppose une fin de non-recevoir au classement de Laas Geel au patrimoine mondial de l'humanité. Un statut qui assurerait pourtant au site une reconnaissance et une protection internationale.
Mais "seuls les Etats parties qui ont ratifié la convention sur le patrimoine mondial peuvent demander le classement d'un site à ce patrimoine", répond une porte-parole de l'Unesco, sollicitée par l'AFP.
La Somalie, dont la souveraineté sur le Somaliland n'est que théorique, n'a jamais ratifié la convention de l'Unesco. Le Somaliland ne peut, lui, ratifier aucun traité international puisque cet Etat n'est pas reconnu. Les demandes de financement bilatéral auprès des pays donateurs se heurtent au même casse-tête juridique et diplomatique.
Des siècles d'isolement ainsi que la croyance des populations locales selon laquelle le site était hanté et les peintures l'oeuvre de mauvais génies ont sans doute largement contribué à protéger Laas Geel.
Mais depuis leur découverte, les peintures rupestres sont devenues la principale attraction du Somaliland.
Pour l'heure, Laas Geel est encore une destination qui se mérite. Les visiteurs doivent endurer plusieurs kilomètres de pistes cahoteuses et se déplacer avec une escorte armée fournie par les autorités. Le nombre de visites, environ un millier par an, augmente toutefois régulièrement.
"Le refuge du diable"
"Les inquiétudes du Somaliland sont légitimes", poursuit Xavier Gutherz, qui explique avoir identifié des aménagements prioritaires: "Il faut clôturer le site, aménager des sentiers de visite, consolider les rochers qui pourraient s'effondrer, détourner le ruissellement des eaux de pluies et améliorer la formation des gardiens".
Le développement programmé du port de Berbera par le géant de l'industrie portuaire DP World (Dubaï) promet également de doper le nombre de visiteurs potentiels à Laas Geel.
La protection du site n'en devient que plus pressante.
"L'augmentation de l'activité humaine et le piétinement du sol graveleux empêche la régénération naturelle des plantes. Cela entraîne des particules de poussière qui peuvent contribuer à l'affadissement des peintures", explique Ahmed Ibrahim Awale, le directeur de l'organisation environnementale Candlelight.
Laas Geel n'a pas encore dévoilé tous ses secrets. D'autres trésors archéologiques attendent sans doute d'être découverts dans ces plaines rocheuses largement inexplorées, qui s'étendent sur plus de 900 kilomètres jusqu'au Puntland.
Musa Abdi Jama, l'un des gardiens du site, voit en Laas Geel l'étendard de l'identité culturelle et de la singularité du Somaliland.
"Cet endroit était connu comme le refuge du diable et des mauvais génies. Les nomades avaient l'habitude de sacrifier des animaux pour apaiser les djinns (mauvais esprits, ndlr)", confie le vieil homme. "Maintenant, cet endroit fait partie de notre sang, dit-il fièrement. Demain, Inch'Allah, ce sera le premier lieu du Somaliland à être internationalement reconnu", lance-t-il.
Avec AFP