Les deux affaires, qui placent le dirigeant de centre droit dans une situation délicate, sont directement imbriquées.
D'une part, c'est parce qu'Odebrecht, géant du BTP brésilien, a contredit le président en admettant avoir payé près de cinq millions de dollars à des entreprises de conseil liées à M. Kuczynski, alors ministre, entre 2004 et 2013, que l'opposition a lancé une procédure de destitution au Parlement.
Lors de cette séance du 21 décembre, "PPK" (acronyme et surnom de Pedro Pablo Kuczynski) a sauvé son poste de justesse grâce au soutien d'une partie du puissant mouvement politique fondé par M. Fujimori, pourtant dans l'opposition et désormais dirigé par ses enfants.
D'autre part, seulement trois jours plus tard, le président Kuczynski, 79 ans, a accordé une grâce à M. Fujimori, qui purgeait une peine de 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité et corruption.
Cette décision a provoqué une crise politique. Les familles des victimes du gouvernement de M. Fujimori y voient une "trahison" de la part de M. Kuczynski, qui s'était engagé durant sa campagne électorale de 2016 à ne pas libérer M. Fujimori, âgé lui aussi de 79 ans.
Environ 5.000 personnes qui reprochent à "PPK" d'avoir ainsi négocié sa survie à la tête de l'Etat ont défilé jeudi à Lima avec pour mot d'ordre "Le pardon est une insulte", selon les estimations de chaînes de télévision.
Après presque quatre heures, la marche des opposants à M. Fujimori s'est terminée par un rituel inca face au Palais de Justice. Des centaines de manifestants ont ensuite tenté de se rendre dans le quartier très touristique de Miraflores, au sud de Lima, avant d'être dispersés avec des gaz lacrymogènes.
- Contre le 'pardon' -
D'autres manifestations contre le "pardon" se sont déroulées dans d'autres villes du Pérou, selon les médias péruviens.
De leur côté, des dizaines de partisans de M. Fujimori se sont rassemblés près de sa clinique pour lui exprimer leur soutien.
Sur le cas Odebrecht, le président Kuczynski a été interrogé pendant quatre heures jeudi, au palais du gouvernement, par le parquet anticorruption. Ni ce dernier ni le chef de l'Etat n'ont fait de déclarations à l'issue de l'interrogatoire.
Les magistrats cherchent à savoir si l'une des entreprises de M. Kuczynski a pesé dans l'attribution de marchés au groupe brésilien ou profité des attributions de celui qui était alors ministre.
Ce scandale de corruption autour d'Odebrecht, qui distribuait généreusement les pots-de-vin pour obtenir des chantiers, éclabousse l'Amérique latine jusqu'aux sommets du pouvoir.
Jeudi, la dirigeante de l'opposition Keiko Fujimori a elle aussi été interrogée, au siège du parquet, sur ce même dossier et les liens avec le financement de ses campagnes électorales. Elle nie toute malversation.
Son père, qui souffre de problèmes cardiaques, devrait rester hospitalisé jusqu'à vendredi au moins.
Mais ses ennuis de santé n'émeuvent guère les familles des victimes de la répression sous ses gouvernements (1990-2000).
- 'On se moque de nous' -
"Avec cette grâce, on se moque de nous", a déclaré Indira Huilca, fille d'un syndicaliste assassiné par le Grupo Colina, un escadron de la mort formé par des militaires et qui opérait sous la protection du gouvernement d'Alberto Fujimori.
L'ancien homme fort du Pérou, d'origine japonaise, a été reconnu responsable de l'assassinat de 25 personnes aux mains d'un escadron de la mort. Il a déjà purgé 12 ans de réclusion.
Encore traumatisés par les abus commis dans les années 1990, plus de 5.000 Péruviens avaient déjà manifesté lundi à Lima contre cette grâce, exigeant la démission de "PPK".
Sur le front de la justice, les militants des droits de l'homme se mobilisent aussi.
Des avocats des victimes et d'ONG tentent de saisir la Cour interaméricaine des droits de l'homme, dont le siège est à San José (Costa Rica), afin qu'elle demande des comptes au gouvernement péruvien et analyse cette grâce en vue d'une éventuelle annulation.
"La Cour peut décider d'annuler une décision" prise au Pérou, affirme Carlos Rivera, un des avocats.
La grâce très controversée accordée par M. Kuczynski a soulevé des protestations au sein du gouvernement péruvien lui-même et à l'étranger.
Mercredi, le ministre de la Culture Salvador del Solar a présenté sa démission. Trois parlementaires du camp présidentiel ont déjà quitté le parti de M. Kuczynski pour manifester leur réprobation. Le président exécutif de la radio-télévision publique, Hugo Coya, a également remis sa démission.
Deux rapporteurs spéciaux de l'ONU se sont dits jeudi "consternés" par cette "gifle pour les victimes".
"Le pardon présidentiel accordé à Alberto Fujimori, fondé sur des motivations politiques, sape le travail de la justice péruvienne et de la communauté internationale pour parvenir à la justice", ont déclaré la Française Agnès Callamard et le Colombien Pablo de Greiff.
Avec AFP