Dans un rapport publié vendredi, l'ONG internationale de surveillance des droits de l'Homme affirme qu'il existe de "bonnes raisons de douter" des arguments avancés par les deux multinationales pour justifier les causes de ces marées noires.
Amnesty assure que dans le cas de 89 fuites (46 sur des pipelines opérés par la filiale de Shell (Shell Petroleum Development Company of Nigeria) et 43 sur ceux de Nigerian Agip Oil Company, la branche locale de l'Italien ENI), la pollution pourrait davantage être dues à la mauvaise maintenance des infrastructures et à la corrosion des oléoducs, qu'à des actes de vandalisme.
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Encouragées à opérer dans une plus grande transparence, les deux compagnies publient le décompte des déversements accidentels d'hydrocarbures dans des rapports annuels.
Shell, opérateur historique du Nigeria, a enregistré 1.010 fuites sur ses infrastructures, soit une perte de 110.535 barils ou 17,5 millions de litres de brut de janvier 2011 à décembre 2017.
ENI, de son côté, a recensé 820 fuites, soit l'équivalent de 26,286 barils et 4,1 millions de litres de brut depuis 2014, date de ses premières publications.
"Shell et ENI affirment faire tout leur possible pour prévenir les déversements d'hydrocarbures, mais les recherches (...) laissent à penser qu'il en est autrement", explique Mark Dummett, chercheur pour Amnesty International.
Elles "ignorent souvent les signalements de fuites pendant de longs mois", poursuit-il, atterré par "l'imprudence" des compagnies responsables du drame écologique dans "l'une des régions les plus polluées au monde".
Les sociétés pétrolières accusent des "personnes-tiers" d'être responsables de sabotage des infrastructures: les groupes armés qui opèrent dans la région et les communautés qui percent les oléoducs pour monter des raffineries illégales dans les criques et revendre le pétrole au marché noir.
- Eviter d'indemniser -
"Cette affirmation est contestée par les habitants du Delta qui risquent de ne pas être indemnisés si les entreprises attribuent les fuites à des tiers", note le rapport.
L'ONG accuse les multinationales de ne pas faire la vérité sur les fuites pour éviter de payer des dommages et intérêts aux communautés locales.
Après des années de bataille juridique, Shell a accepté de verser 55 millions de Livres (62 millions d'Euros) à 15.500 personnes affectées par la pollution de l'eau dans la région de l'Ogoniland (Etat de Rivers) en janvier 2015.
Les compagnies pétrolières qui opèrent au sein du premier producteur de brut en Afrique ont l'obligation de faire une étude préliminaire dans les 24 heures suivant une fuite, et de nettoyer les dommages causées par le brut pour éviter de lourdes contaminations sur l'environnement, dans l'eau et les terres.
Mais selon les données récoltées par Amnesty, Shell n'a répondu dans les 24 heures que dans 26% des cas (ENI pour 76%).
Réagissant au rapport d'Amnesty, Shell a rejeté ces accusations, assurant qu'elles étaient "fausses et ne prennent pas en compte l'environnement complexe dans lequel la société opère".
De son côté, ENI assure répondre aux fuites de manière rapide, ou, dans le cas échéant, n'avoir pas reçu de renseignements fiables.
Dans une lettre adressée à l'ONG, la compagnie italienne note que les fuites ont diminué de moitié l'année dernière par rapport aux chiffres de 2014.
Avec AFP