"Pour Sama", le nom de sa petite fille, "sera à n'en pas douter un des chocs de cette sélection", avaient prédit les organisateurs du festival, qui ont vu juste.
Présenté en séance spéciale, le documentaire, coréalisé avec Edward Watts, a fait l'effet d'un électrochoc et se pose en candidat sérieux à l'Oeil d'or qui récompense depuis 2015 un documentaire à Cannes, toutes sections confondues.
"Le film est pour expliquer à Sama le choix incroyablement difficile que nous avons dû faire", explique Waad al-Kateab, qui n'a pas encore 30 ans. Celui de rester en Syrie pendant la période la plus meurtrière du conflit, dans l'hôpital où exerce son mari Hamza, cible des bombardements.
Sorte de lettre adressée à sa fille reprenant des vidéos extrêmement fortes qu'elle a tournées dans la rue ou à l'hôpital, "Pour Sama" suit le parcours de Waad, d'étudiante à femme mariée puis mère.
En 2011, ce petit bout de femme étudiait le marketing à l'université d'Alep, ayant abandonné l'idée d'être journaliste. Trop dangereux, avaient décrété ses parents. "Tout a changé quand ont commencé les premières manifestations" contre le régime de Bachar el-Assad, réprimées dans le sang.
"Dans les journaux télévisés, on ne parlait pas de manifestants, mais de terroristes. A l'université, il n'y avait pas de médias pour expliquer la situation. L'idée était de prendre son téléphone et de documenter ce qu'on voyait", explique-t-elle, lors d'un entretien sur la Croisette.
A partir de 2012, quand la ville est coupée en deux, entre l'est tenu par les rebelles et l'ouest sous contrôle gouvernemental, elle met la main sur sa première caméra.
- "N'importe qui ferait la même chose" -
Le virus ne va pas la quitter. Waad enregistre tout: les bombardements comme les babillements de son nouveau-né, les arrivées de blessés comme la naissance d'un bébé apparemment mort-né ou deux garçonnets pleurant leur jeune frère décédé. Des vidéos qui lui vaudront plusieurs récompenses, notamment le trophée télévision au festival de Bayeux des correspondants de guerre en 2017.
"Quand j'ai montré le film aux gens qui étaient avec nous à Alep, ils m'ont tous dit: c'est notre histoire, ce qui m'a convaincu que ce par quoi j'étais passé pour le réaliser valait le coup".
Caméra au poing, elle filme également son retour incroyablement périlleux à Alep en juillet 2016, avec son bébé, après un aller-retour de quelques jours en Turquie, pour voir son beau-père malade.
"Nous avons vécu avec les gens (que l'on voit dans le documentaire) pendant cinq ans, nous avons partagé des expériences notamment les bombardements. Sachant utiliser une caméra et ayant des contacts avec des chaînes étrangères, je pouvais faire beaucoup pour mettre un coup de projecteur sur la situation à Alep", souligne-t-elle, comme une évidence. "N'importe qui ferait la même chose".
De ses cinq années, elle a accumulé des centaines d'heures d'images. Elle en a partagé une petite partie sur internet en prenant soin de cacher son identité, par peur d'être arrêtée.
"Je suivais ses vidéos sur Channel 4. Quand je l'ai rencontrée début 2017, ce fut un véritable choc. On était dans un pub à Londres et je me disais, c'est elle, Waad?. Je m'attendais à une personne plus guerrière", se souvient Watts, qui a travaillé pendant deux ans pour mettre sur pied le film.
Car quand la ville est tombée au main du régime en décembre 2016, Waad, Hamza et Sama sont contraints de quitter le pays. Ils sont aujourd'hui installés à Londres et Waad travaille pour Channel 4.