Quelque 1,8 million d'électeurs doivent se rendre aux urnes pour désigner le président et les 140 députés de ce pays plongé dans la guerre civile depuis près de huit ans, parmi les plus pauvres du monde.
La menace des groupes armés sur une grande partie du territoire, et l'avancée récente des rebelles signalée sur les axes majeurs menant à la capitale, rendent illusoire une participation conséquente, du moins libre et sereine, faisant dire à l'opposition et aux experts que la légitimité des futurs élus pourrait être déjà grandement entamée.
D'ailleurs, mercredi, à quatre jours du scrutin, le gouvernement exhortait encore par SMS les inscrits à aller retirer leurs cartes d'électeur.
M. Touadéra, élu en 2016, apparaît comme le grand favori, selon les politologues. Son mandat a été marqué par un début de reconstruction de l'armée et le rétablissement de l'autorité de l'Etat dans plusieurs préfectures, mais également par de multiples scandales de corruption.
Et, malgré une baisse notable des combats depuis 2018, puis un accord de paix en 2019, les groupes armés continuent de s'attaquer sporadiquement aux forces de l'ordre et aux civils.
Anicet Georges Dologuélé, économiste et ancien Premier ministre, est désormais son principal concurrent, depuis l'invalidation de la candidature de François Bozizé, le président renversé en 2013.
Fort d'une importante assise électorale, M. Bozizé apparaissait comme le seul capable de mettre en danger la réélection de M. Touadéra, et il a apporté son soutien à M. Dologuélé. Toutefois, l'extrême division de l'opposition, qui présente 15 candidats contre M. Touadéra, devrait faciliter la tâche du sortant.
Un quart de la population déplacée
La candidature de François Bozizé a été invalidée par la Cour constitutionnelle au motif qu'il était sous le coup de sanctions de l'ONU pour son soutien présumé à des milices accusées de crimes de guerre et contre l'humanité.
La Centrafrique est ravagée par la guerre civile depuis qu'une coalition de groupes à dominante musulmane, la Séléka, a renversé M. Bozizé en 2013. Les affrontements entre Séléka et milices chrétiennes et animistes anti-balaka ont fait des milliers de morts entre 2013 et 2014 et plus du quart des 4,9 millions de Centrafricains ont dû fuir leur foyer, dont 675.000 demeurent réfugiés dans les pays voisins, sans pouvoir voter.
Il y a une semaine, les principaux groupes armés se sont coalisés et ont lancé une offensive, immédiatement accusés par le camp Touadéra de tenter un "coup d'Etat" à l'instigation de M. Bozizé, qui dément.
Leur progression a été stoppée depuis mercredi, selon la Mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca), par les Casques bleus, l'armée et des centaines de renforts dépêchés par le Rwanda et la Russie hors du cadre de la force onusienne de maintien de la paix.
Mercredi, la Minusca a annoncé que la quatrième ville du pays, Bambari, à 380 km au nord-est de Bangui, avait été reprise aux rebelles qui s'en étaient emparés la veille.
Pessimisme à Bangui
Dans les rues de Bangui, l'ambiance est toutefois au pessimisme. Mercredi, de fausses rumeurs sur l'entrée des rebelles avaient déclenché des mouvements de panique. "Il y a des risques sur la sécurité du scrutin mais j'irai voter", insiste Lionel Fotot, 29 ans, venu chercher sa carte d'électeur jeudi dans une école du centre.
Ailleurs, la possibilité même de pouvoir aller voter, ou de le faire librement et sereinement, se pose.
"C'est un hold-up électoral, l'élection ne peut avoir lieu sur l'ensemble du territoire contrôlé par des groupes armés qui veulent perturber le scrutin", estime Roland Marchal, spécialiste de la Centrafrique au Centre de Recherches Internationales (CERI) à Paris.
Dimanche, le G5+, qui compte notamment la France, la Russie, l'ONU, l'Union européenne et la Banque mondiale, a martelé que les élections, dans l'organisation desquelles la communauté internationale a investi plus de 30 millions d'euros, devaient "se tenir dans le respect du délai constitutionnel".
Mais mercredi, l'ONU s'est déclarée "profondément alarmée" par les violences qui "présentent de sérieux risques pour la sécurité des civils et l'exercice du droit de vote".
L'opposition dénonce par avance des fraudes massives pour faire élire M. Touadéra dès le premier tour et réclame un report.
La plupart des quelque 1.500 candidats à l'Assemblée nationale n'ont pu faire campagne pour des raisons de sécurité. Le second tour est prévu le 14 février.