"Nos idées ont aujourd'hui gagné la grande majorité de la population", se réjouit le moine extrémiste Ottama, cadre de mouvement MaBaTha, fer de lance de la propagation du sentiment antimusulman.
Pour lui, la visite du pape François (la première d'un pape en Birmanie) n'y changera rien. Même si ce dernier parle de paix et de fraternité, y compris avec la minorité musulmane.
"Je ne comprends pas pourquoi le pape vient en plein conflit. Beaucoup de gens disent qu'il vient pour les Bangladais", regrette Nyo Nyo Aung, moine radical, utilisant un terme péjoratif pour parler des musulmans rohingyas.
Pour ces moines extrémistes et une grande majorité de la population, à plus de 90% bouddhiste, la Birmanie est "une frontière" à défendre et les musulmans, les ennemis.
"Il y a 50 ans, il y avait seulement 12% de musulmans en Birmanie, et maintenant ils représentent environ 38% de la population", affirme Ottama avançant des chiffres qui ne correspondent pas à ceux du recensement, qui estime à moins de 5% la population musulmane.
"Ils vont engloutir notre pays dans les 50 ou 100 prochaines années si cela continue. Et notre peuple et notre culture disparaîtront", ajoute l'homme aux gestes lents et au sourire apaisé, enroulé dans sa robe safran.
Ottama était, à Rangoun, l'un des cadres du puissant mouvement MaBaTha, organisation de moines qui se voient comme une vigie contre la menace d'une islamisation de la Birmanie.
"On ne peut pas faire confiance aux musulmans. Ils ne font pas de politique pour participer au bien général, ils veulent le faire pour prendre le contrôle du pays sournoisement", répète à l'envi la figure charismatique du mouvement, le moine Wirathu.
Le gouvernement civil de l'ex-icône de la démocratie Aung San Suu Kyi a tenté depuis son arrivée au pouvoir en avril 2016 de contrer l'influence grandissante de ce mouvement, interdit par le clergé bouddhiste en mai dernier.
A quelques jours de la visite du pape, l'un des moines ultra-nationalistes les plus influents a été arrêté pour avoir organisé une manifestation anti-rohingya devant l'ambassade américaine à Rangoun en 2016.
Mais tout cela a un effet limité.
"Le virulent nationalisme bouddhiste qui a émergé en Birmanie représente un problème de société considérable et une menace pour la coexistence des multiples ethnies et religions du pays", estime dans un rapport paru en septembre, le centre d'analyse International Crisis Group (ICG).
- Le bouddhisme, identité nationale -
Et la flambée de violences dans l'ouest du pays depuis fin août, qui a poussé plus de 600.000 musulmans rohingyas à fuir au Bangladesh, a soudain replacé tous les thèmes de prédilection des extrémistes bouddhistes au coeur du débat public. Le nationalisme en sort renforcé.
"L'immigration massive à l'époque de la colonisation a créé un nationalisme aigri et défensif qui reste au coeur de l'ADN politique de la Birmanie", estime l'historien Thant Myint-U.
Pour la majorité bamar, qui compose les deux tiers de la population birmane, le bouddhisme fait partie intégrante de l'identité nationale. A l'époque de la junte militaire, les minorités chrétienne comme musulmane étaient opprimées et stigmatisées.
En 2012, des violences interconfessionnelles avaient fait plus de 200 morts dans le pays, principalement des musulmans.
Quand le pays s'est ouvert après 2011, cela a coïncidé avec la montée en puissance dans le monde des groupes terroristes islamistes, dont les attentats sont fortement relayés sur les réseaux sociaux birmans, explique Thant Myint-U.
Aujourd'hui, l'hostilité et les préjugés auxquels sont confrontés les musulmans rohingyas dans l'ouest du pays sont partagés par une vaste majorité de la population.
De nombreux Birmans se sont donc offusqués de la manière dont les médias et la communauté internationale évoquent la crise. Ils rejettent les accusations des Nations unies d'"épuration ethnique".
Sur Facebook, tous les jours apparaissent de nouvelles caricatures de ces "ennemis" de la Nation. MaBaTha et le parti politique fondé récemment pour promouvoir ses idées ont multiplié les collectes de fonds, pour venir en aide aux "victimes" bouddhistes de la crise des Rohingyas.
Wirathu s'est toutefois montré plutôt discret depuis le début des violences. La venue d'un pape ne peut avoir que des "motivations politiques", a-t-il simplement dit.
Pour lui, le souverain pontife est dans l'erreur: "Les Rohingyas ne sont pas un groupe ethnique de notre pays mais le pape pense qu'ils sont originaires d'ici. C'est faux".
Avec AFP