A ce jour, seules trois personnes ont été officiellement contaminées par la maladie Covid-19 sur le continent: une en Egypte, une en Algérie, et une au Nigeria (un Italien arrivé de Milan), pour aucun décès.
C'est une goutte d'eau dans l'océan des 80.000 cas et 2.800 morts recensés dans une cinquantaine de pays, pour l'essentiel en Chine, où le premier foyer de l'épidémie est apparu dans la ville de Wuhan, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Peu de temps après l'apparition du virus, les spécialistes ont pourtant pointé du doigt les risques de propagation de la maladie en Afrique. A cause de ses liens commerciaux étroits avec Pékin et des faiblesses de son réseau médical.
La semaine dernière, l'OMS a même averti que le continent était mal préparé pour faire face à l'épidémie.
"Notre principale préoccupation continue d'être le potentiel de dissémination du Covid-19 dans les pays dont les systèmes de santé sont plus précaires", a déclaré son patron, Tedros Adhanom Ghebreyesus.
Une modélisation publiée dans la revue médicale The Lancet a fait de l'Egypte, de l'Algérie et de l'Afrique du Sud, qui a annoncé jeudi le rapatriement de 132 de ses ressortissants de Wuhan, les trois pays du continent les plus menacés.
Ils sont aussi, selon l'étude, les moins vulnérables car les mieux préparés à repérer l'infection.
Mais malgré de nombreuses alertes, l'épidémie ne semble pas jusque-là se développer significativement sur le continent.
- Vulnérabilité -
Pourquoi? Les épidémiologistes se perdent en conjectures.
"Personne ne sait", avoue le Pr Thumbi Ndung'u, de l'Institut africain de recherche sur la santé à Durban (Afrique du Sud). "Peut-être n'y a-t-il simplement pas tant de déplacements entre l'Afrique et la Chine", avance-t-il.
Ethiopian Airlines, la plus importante compagnie aérienne africaine, n'a toutefois jamais suspendu ses liaisons avec la Chine depuis le début de l'épidémie. Et China Southern vient de reprendre ses vols avec le Kenya.
Alors certains avancent la piste d'une possible protection climatique. "Peut-être que le virus ne pousse pas dans l'écosystème africain, on ne sait pas", esquisse le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l'hôpital Bichat à Paris.
Une hypothèse rejetée par Pr Rodney Adam, de l'hôpital universitaire Aga Khan de Nairobi (Kenya). "Nous n'avons aucune preuve d'une quelconque influence du climat sur la transmission (du virus)", assure-t-il. "A l'heure actuelle, il semble que la vulnérabilité des Africains soit la même que celle des autres ailleurs", ajoute-t-il.
D'autres sont tentés d'attribuer le faible nombre de cas confirmés de coronavirus à de possibles ratés des systèmes de détection déployés dans les pays du continent.
"C'est vrai qu'il y a certains pays, certaines régions dont on n'est pas certain de la capacité, ne serait-ce que par faute de ressources, à mettre en oeuvre les modalités de diagnostic", dit le Dr Daniel Lévy-Bruhl, de l'agence sanitaire française Santé publique France.
- Systèmes en place -
"Il y a un risque que des chaînes de transmission méconnues existent aujourd'hui dans certains pays du monde", ajoute-t-il.
Les spécialistes écartent toutefois le risque d'erreurs de détection massives. "Mais s'il y avait des cas massifs en Afrique, je pense qu'on le saurait car l'OMS est en alerte et beaucoup de gens sont très attentifs", juge le Dr Amadou Alpha Sall, patron de l'Institut Pasteur de Dakar (Sénégal).
"Tous les systèmes sont en place", confirme le Dr Michel Yao, en charge des plans d'urgence pour l'OMS à Brazzaville (Congo).
Le nombre de pays africains disposant de laboratoires capables d'identifier le Covid-19 est passé en quelques semaines de deux (Afrique du Sud et Sénégal) à 29, se félicite le Dr Yao.
Le principe de précaution s'est en outre imposé. Jeudi, Madagascar a interdit son territoire, prisé des touristes, à tous les voyageurs ayant récemment séjourné en Iran, en Italie ou en Corée du Sud, foyers importants de l'épidémie. De son côté, le gouvernement de l'archipel touristique du Cap-Vert a décidé jeudi d'interdire pendant trois semaines tous les vols en provenance d'Italie.
Un point faible persiste, souligne toutefois le Dr Yao: la capacité à contenir l'épidémie et à traiter ses victimes.
"La plupart des pays africains ne seraient pas capables de traiter des cas sévères nécessitant des soins intensifs", estime-t-il.
Mais plutôt que d'envisager un scénario catastrophe, les spécialistes préfèrent se satisfaire de leur bonne fortune actuelle.
"Il est difficile de dire pourquoi" si peu de cas ont été recensés jusque-là en Afrique, souligne le Pr Thumbi Ndung'u, "peut-être nous avons simplement de la chance".