Comme mercredi à Onalua, village du Sankuru (centre) qui a vu naître Patrice Lumumba en 1925, podium, autorités, danseurs et tam-tams attendent dans l'ancienne Stanleyville la dépouille dont il ne reste qu'une dent, relique restituée lundi par la Belgique à la RDC et désormais gardée dans un cercueil ouvragé.
Sur le fleuve Congo, dans la province de la Tshopo, la cité d'environ un million et demi d'habitants s'est faite aussi belle que possible pour célébrer le héros dont le deuil, 61 ans après, commence enfin. Mais le délabrement de la ville autrefois prospère ne s'efface pas d'un rapide coup de peinture.
Au 1er niveau du bâtiment de briques dit "1925", dans le centre de Kisangani, se trouve une petite pièce, garnie d'étagères chargées de registres et d'ouvrages de l'administration coloniale. "Codes et lois du Congo, 1954". "Les palmeraies dans leurs rapports avec l'ethnologie". "Revue juridique du Congo belge"...
Patrice Emery Lumumba travaillait ici comme bibliothécaire de l'Administration indigène pour les mains d’œuvre (AIMO). En même temps, il était chargé des courriers à la Poste. "Les gens défilent ici avec l'idée de transformer cette maison en site touristique, mais rien de concret", regrette Joseph Lifaefi, chef d'un bureau provincial de documentation qui veille sur l'endroit.
"Je protège la table et la chaise de Lubumba, les écrits avec sa signature, ses revendications", déclare-t-il à l'AFP, en montrant une chaise en bois, une vieille table grise. "Cela me fait honte, ici on devrait avoir un musée", souffle-t-il, en s'inquiétant pour les vieux ouvrages, certains datant du 19e siècle, précieux documents qu'il faudrait numériser avant qu'il ne soit trop tard.
Mythique et délabrée
Le jeune Patrice Lumumba avait 20 ans quand il est arrivé à Stanleyville. Fonctionnaire, il était nommé aux chèques postaux. Plus tard, il deviendra directeur commercial d'une grande brasserie.
"Mon père a été le premier à l'accueillir", raconte Pauline Kimbulu, fille de Paul Kimbulu, l'un des rares infirmiers diplômés de l'époque coloniale. "Il venait manger ici", montre cette femme assise devant la petite maison au toit de tôle et aux murs de ciment gris. "Qu'on nous réhabilite cette maison!", demande-t-elle.
Au fil des ans, Lumumba a pris de l'assurance, doué d'"éloquence", de "force de conviction", de "charme et d'aisance" et animé d'une "extrême ambition", raconte l'écrivain journaliste belge David Van Reybrouck dans son ouvrage de référence "Congo, une histoire", publié en 2014.
Chef d'une antenne syndicale, président de l'association des "évolués" de Stanleyville, écrivant analyses politiques et articles de presse, jusqu'à lancer en 1958 un parti politique nationaliste, le Mouvement national congolais (MNC). Il tenait des meetings au "Cercle d'Etat de Mangobo". Aujourd'hui, la mythique salle sert de dépôt de meubles et de cercueils proposés à la vente. Ses portes et fenêtres menacent ruine.
Dans la même commune, au "quartier commercial 5", dans une rue où subsiste un peu de macadam, se trouve une maison basse à la clôture effondrée. Patrice Lumumba aurait habité ici à la fin des années 50. Un voisin, Blaise Trésor Badjoko, raconte que son père est venu y vivre après son assassinat, qu'il est lui-même mort dans cette maison. Selon lui, la dépouille du héros national devrait reposer ici plutôt qu'à Kinshasa. Même si cela fait deux ans que le quartier n'a pas d'électricité.
Après Kisangani, le cercueil sera dimanche dans le Haut-Katanga (sud-est), où le premier Premier ministre de l'ex-Congo belge a été supplicié le 17 janvier 1961. Avant la capitale Kinshasa, lundi, où les hommages s'achèveront avec une cérémonie d'inhumation le 30 juin, jour de la fête de l'Indépendance.