La journée du dimanche 16 décembre a laissé à jamais des traces sur le corps et dans la mémoire de cette mère de famille d'une trentaine d'années.
Les tueries des 16-17 décembre dans quatre localités du territoire de Yumbi ont fait au moins 535 morts d'après les Nations unies.
Les victimes sont presque exclusivement des Banunu, pourchassés par des hommes armés de la communauté rivale, les Batende.
"Je suis tombée sur les assaillants en rentrant chez moi. Ils m'ont tiré dessus et frappée à coups de flèches. Je suis tombée, et là, ils m'ont tabassée", détaille Abyssine Miniunga Bonkita.
Elle s'est réfugiée sur l'îlot Moniende au milieu du fleuve qui donne son nom aux deux Congo, dans cette partie enclavée de la province du Mai-Ndombe, à quelque 400 km et deux jours de pénible navigation au nord des deux capitales Kinshasa et Brazzaville.
Abyssine survit avec ses enfants et une centaine d'autres membres de sa communauté, les Banunu. Ces déplacés du fleuve ont soit construit des abris de fortune, soit retrouvé leur cabane sur pilotis qu'ils utilisent habituellement pour la saison de pêche.
La majorité des rescapés ont fui plus loin que les îlots, de l'autre côté du fleuve, dans la sous-préfecture de Makotimpoko au Congo-Brazzaville. "Ils venaient sur des pirogues, certains ramaient avec les mains, ils n'avaient pas de pagaie. Ils étaient torse nu, sans habits", se souvient l'abbé Gicquaire, prêtre à Makotimpoko.
"On se précipitait en direction du fleuve pour tenter de fuir. Heureusement en chemin nous n'avons pas croisé ceux qui avaient les armes de guerre. Mais en fuyant dans la pirogue, mon enfant et ma femme se sont fait tirer dessus", raconte Bosukisa Montole, en tenant dans les bras son fils d'une dizaine d'années blessé au cou.
Au moins 16.000 personnes se sont réfugiées en République du Congo, d'après les autorités de Brazzaville.
"Ils n'ont pas la volonté de retour. Ils ont peur après avoir vu les gens se faire tuer", déclare un représentant du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies à Makotimpoko.
L'AFP a fait elle le chemin inverse en direction de Bongende, le plus touché des quatre villages du territoire de Yumbi, avec au moins 339 morts.
- L'horreur au bord du fleuve -
Près de deux mois après, la localité est complètement déserte, à part quelques soldats de la force navale qui garde le port de cette bourgade de pêcheurs.
Des maisons brûlées, détruites, pillées et un silence pesant, voilà tout ce qu'il reste à Bongende.
"Dans cette fosse commune, il y a près de 100 corps, dans l'autre là-bas environ 70". Beladi Kaninda, seul civil qui reste à Bongende, sert de guide pour cette visite macabre.
Lobota Lifuna, rescapé de l'attaque, revenu pour la journée en pirogue depuis Makotimpoko, se souvient : "En fuyant on voyait les Batende découper des enfants en morceaux sur le bord du fleuve."
D'après des photos et vidéos amateurs prises dans la localité les jours suivants l'attaque, il apparaît que des mutilations, y compris génitales sur les femmes et les fillettes, ont été pratiquées de manière quasiment systématique sur les victimes.
"Nous sommes inquiets des répercussions psychologiques de ces violences", déclare Fabrizio Andriolo, coordonnateur du pool d'urgence de Médecins sans Frontières.
L'ONG médicale, une des seules sur place, affirme "avoir déjà identifié plusieurs signes de traumatismes chez les patients: perte d'appétit, insomnie, manque d'énergie".
Officiellement, c'est un litige autour de l'enterrement d'un chef coutumier Banunu qui a provoqué l'offensive des Batende, à quelques jours des élections générales du 30 décembre, qui ont été reportées à Yumbi à cause des violences.
Les Batende revendiquent la propriété sur la terre dans la région. "Les Banunu sont venus après nous. Ils ne veulent pas respecter notre droit coutumier. Ils exploitent notre terre, nos champs, nos sources d'eau. Normalement ils sont obligés de payer mensuellement les droits coutumiers. Voilà la raison de tout ce conflit", proclame Ejekiel Mabiala, chef de localité Batende à Molendé, au sud de Yumbi.
Selon les éléments et témoignages recueillis par l'AFP, l'attaque semble avoir été préméditée, avec le concours des autorités locales et d'une partie des forces de sécurité.