"Le président n'est pas au dessus des lois", a rappelé la juge progressiste Elena Kagan, intervenant comme ses collègues depuis son domicile en raison de la pandémie de nouveau coronavirus.
Mais "nous sommes inquiets du risque potentiel de harcèlement" du locataire de la Maison Blanche, a ajouté le magistrat conservateur John Roberts.
Pendant plus de trois heures, les neuf magistrats ont assailli les parties de questions pour tenter de trouver la ligne d'équilibre dans ce dossier explosif, qui pourrait avoir de lourdes implications pour la séparation des pouvoirs aux Etats-Unis.
"Nous allons prendre une décision qui aura une valeur dans le futur, qui ne concerne pas qu'un président mais la présidence", a souligné le magistrat Neil Gorsuch pour rappeler les enjeux du dossier.
Dans un premier temps, elle permettra peut-être de lever le voile avant l'élection présidentielle de novembre sur les affaires de Donald Trump, qui contrairement à tous ses prédécesseurs depuis les années 1970 refuse de publier ses déclarations d'impôts.
Le milliardaire républicain, candidat à sa réélection, a fait de sa fortune un argument de campagne, mais son manque de transparence alimente les spéculations sur l'étendue de sa richesse, sur ses relations avec le fisc ou sur de potentiels conflits d'intérêt.
- Actrice de films X -
Après avoir repris le contrôle de la Chambre des représentants lors des élections de mi-mandat, les démocrates ont tenté de percer le mystère.
Trois commissions de la Chambre ont émis à partir d'avril 2019 des injonctions à l'ancien cabinet comptable de Donald Trump, Mazars, et à deux banques, Deutsche Bank et Capital One, pour obtenir toute une série de documents financiers portant sur ses affaires entre 2010 et 2018.
En parallèle, le procureur démocrate de Manhattan a émis une requête comparable auprès du cabinet Mazars dans le cadre d'une enquête portant sur une possible violation des lois new-yorkaises sur le financement des campagnes électorales.
Cyrus Vance cherche à obtenir des informations sur un versement effectué en 2016 à l'actrice de films pornographiques Stormy Daniels pour acheter son silence sur une liaison présumée avec le milliardaire, et qui ne figure pas dans ses comptes de campagne.
Se posant en victime d'une "chasse aux sorcières", Donald Trump a saisi la justice pour bloquer ces injonctions. Après avoir perdu en première instance et en appel, il s'est tourné vers la Cour suprême, où il a fait entrer deux magistrats conservateurs depuis son élection.
Dans les deux dossiers, ses avocats ont plaidé que le président devait être protégé d'un "harcèlement" parlementaire ou judiciaire pour qu'il puisse se concentrer sur son travail.
- "Oppressives" -
Si la Cour valide les injonctions du Congrès, cela "ouvrira la porte à toute sorte de requêtes oppressives", a plaidé Me Patrick Strawbridge dans le premier volet de l'affaire.
Dans le second volet, Me Jay Sekulow a appelé les juges à imaginer qu'il doive interrompre le président en pleine pandémie pour lui demander de consacrer deux heures à sa défense dans une enquête à l'autre bout du pays. Pour lui, le président jouit d'une immunité totale pendant son mandat.
"Une procédure pénale contre un président est une violation de la Constitution", a-t-il lancé.
Les quatre magistrats progressistes ont semblé mal à l'aise avec cette approche. "Concrètement, vous nous demandez d'empêcher le Congrès de mener son rôle de supervision dès qu'il s'agit du président", a souligné la juge Kagan. "Ca pose un énorme problème pour la séparation des pouvoirs", a ajouté sa consoeur Sonia Sotomayor.
Leurs collègues conservateurs ont de leur côté passé au gril l'avocat de la Chambre. "Vous ne pouvez donner aucun exemple d'injonctions illégitimes !", lui a lancé le juge Samuel Alito. "Pour vous, il n'y a aucune protection" pour empêcher un harcèlement du président, lui a-t-il reproché.
Dans le dossier new-yorkais, une large partie des débats ont porté sur le fait que la Cour suprême avait obligé dans les années 1970 le président républicain Richard Nixon à remettre des enregistrements dans le cadre du scandale d'espionnage du Watergate, puis autorisé en 1997 la poursuite d'une procédure civile pour harcèlement sexuel contre le démocrate Bill Clinton.
"Je ne vois vraiment pas pourquoi" ce dossier est différent, a lancé la doyenne de la cour, Ruth Bader Ginsburg.
La Cour devrait rendre sa décision avant la fin juin.