L'engagement de troupes américaines au Cameroun devrait aider les pays de la région du Lac Tchad en lutte contre Boko Haram à combler l'une de leur principale lacune, le renseignement, face à des islamistes multipliant les attentats.
Jeudi 15 et et vendredi 16 octobre encore, une série d'attentats-suicides a fait des dizaines de morts à Maiduguri dans le nord-est du Nigeria, ancien fief du groupe Boko Haram - qui a rallié récemment l'organisation de l'Etat islamique - et dont l'insurrection a fait depuis 2009 au moins 17 000 morts et 2,5 millions de déplacés.
Le Cameroun, le Tchad et le Niger ont eux aussi subi de telles attaques que les services de sécurité semblent impuissants à prévenir. Même si quelques attentats ont été déjoués ces dernières semaines, les kamikazes - souvent des femmes ou de jeunes adolescents - se faisant exploser avant de pouvoir atteindre leurs cibles.
Régulièrement, les faiblesses des services de renseignements ont été pointées du doigt. Historiquement, dans de nombreux pays du continent, la mission première - voire exclusive - de ces services a été de surveiller les faits et gestes des opposants et non de contrer de telles menaces.
Les chefs de l'Etat de la région du lac Tchad eux-mêmes ont sollicité à plusieurs reprises une aide dans ce domaine pour épauler la force régionale chargée de mener la guerre aux islamistes.
Risque d'"internationaliser Boko Haram"
La France, très présente militairement dans la région, notamment avec l'opération de lutte contre les groupes jihadistes au Sahel Barkhane dont l'état-major est à N'Djamena, fournit déjà une telle assistance.
L'armée américaine est elle aussi déjà présente dans la région, avec des drones au Niger pour surveiller le Sahel.
Washington a certes déjà apporté une aide ponctuelle en matière de renseignement et de reconnaissance au Nigeria après l'enlèvement par Boko Haram de plus de 200 lycéennes à Chibok. Sans toutefois s'impliquer davantage, du fait notamment des graves violations des droits de l'Homme dont est accusée l'armée nigériane.
Au Cameroun, l'engagement américain change de dimension. Non sans risque pointe le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, de l'Institut français de géopolitique.
"Le résultat pourrait être d'internationaliser Boko Haram", groupe jusqu'ici essentiellement nigérian, en attirant dans la région des jihadistes étrangers, avides d'en découdre avec les Etats-Unis, explique-t-il à l'AFP.
Les 300 soldats américains annoncés, dont les premiers sont arrivés lundi au Cameroun, seront basés à Garoua (nord), où l'aviation camerounaise a une base utilisée pour bombarder les insurgés infiltrés.
Ces forces se consacreront à des opérations de renseignement, de surveillance et de reconnaissance aérienne. Elles seront armées pour assurer leur protection et permettre le bon déroulement de ces opérations mais "elles ne seront pas sur place dans un rôle de combat", selon Josh Earnest, porte-parole de la présidence américaine.
Ce porte-parole a insisté mercredi sur le fait que cette opération ne représentait pas "un changement de stratégie" du côté américain. Elle n'est pas non plus liée à "une évaluation différente" de la nature de la menace que représente l'organisation islamiste dans cette région, a-t-il assuré.
Engagement sans limitation de temps
Côté camerounais, on souligne cependant que l'engagement de militaires américains "marque une évolution" sur le terrain.
Jusqu'à présent, a expliqué à l'AFP sous couvert de l'anonymat un responsable de l'armée camerounaise, l'assistance américaine se limitait à de la formation, notamment au déminage et au désamorçage des bombes portées par les kamikazes. Les Etats-Unis ont des accords de formation militaire avec plusieurs pays africains.
"Cette annonce (l'envoi de troupes) marque, selon lui, en fait une évolution dans le type d'appui apporté au Cameroun par les Américains".
D'autant que cette mission n'est pas limitée dans le temps. Les forces resteront au Cameroun "jusqu'à ce que leur soutien ne soit plus nécessaire", a indiqué Barack Obama dans un courrier adressé aux leaders des deux chambres du Congrès américain.
Le président nigérian, Muhammadu Buhari, qui a fait de lutte contre Boko Haram une priorité, avait donné en août trois mois aux forces armées pour en finir avec les islamistes.
Face aux offensives des armées de la région, les insurgés ont effectivement perdu depuis début 2015 la plupart des territoires qu'ils contrôlaient, principalement dans le nord-est du Nigeria.
Mais ils restent solidement retranchés dans des zones difficiles d'accès - forêt de Sambisa, monts Mandara, îles du lac Tchad -, laissant présager des opérations militaires de longue haleine.
Avec AFP