"Tout en appelant au calme et à la sérénité de nos concitoyens, l'Etat du Sénégal a pris toutes les mesures pour garantir la sécurité des personnes et des biens", a déclaré dans la nuit le ministre de l'Intérieur Antoine Diome au terme de l'une des journées de contestation politique les plus meurtrières depuis des années dans le pays.
Des hommes portant treillis et fusils de guerre ont été positionnés en différents points de Dakar, capitale habituellement grouillante aux rues à présent désertées et à l'activité quasiment paralysée, ont constaté les journalistes de l'AFP. L'AFP n'a pu identifier dans un premier temps leur corps d'appartenance.
Dans la crainte des saccages, les magasins sont restés fermés le long de rues entières portant encore les traces des violences de la veille. L'université en particulier a été le théâtre d'affrontements prolongés et d'importantes destructions.
Des étudiants ont rapporté avoir reçu la consigne de quitter le campus et cherché à grand-peine à rassembler leurs affaires avant de trouver un moyen de transport pour les emmener ailleurs. De très nombreux Dakarois ont décidé de ne pas se déplacer par peur pour leur sécurité ou faute de pouvoir trouver un moyen de transport.
Le gouvernement a reconnu avoir restreint les accès aux réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou Twitter pour faire cesser selon lui "la diffusion de messages haineux et subversifs".
Plusieurs quartiers de Dakar, la Casamance (sud) et différentes villes ont été en proie jeudi à une nouvelle flambée causée par la situation de l'opposant Ousmane Sonko, le plus farouche adversaire du président Macky Sall, engagé depuis deux ans dans un bras de fer acharné avec le pouvoir pour sa survie judiciaire et politique.
Avant les évènements de jeudi, une vingtaine de civils avaient été tués depuis 2021 dans des troubles largement liés à la situation de M. Sonko. Le pouvoir et le camp de M. Sonko s'en rejettent mutuellement la faute.
Populaire chez les jeunes
Le Sénégal a connu jeudi des affrontements entre jeunes et forces de sécurité, des saccages de magasins et d'équipements publics et un envahissement de l'autoroute entre Dakar et l'aéroport international. Le ministre de l'Intérieur Antoine Diome a fait état de neuf morts sur la télévision nationale.
M. Sonko, troisième de la présidentielle de 2019, a été condamné jeudi par une chambre criminelle à deux ans de prison ferme pour avoir poussé à la "débauche" une jeune femme de moins de 21 ans. La cour l'a en revanche acquitté des charges de viols et menaces de mort contre cette employée d'un salon de beauté où il allait se faire masser entre 2020 et 2021, charges pour lesquelles il était jugé.
La décision paraît, au vu du code électoral, entraîner l'inéligibilité de M. Sonko. Ce dernier n'a cessé de nier les accusations en criant à la machination du pouvoir pour l'écarter de la présidentielle. Le pouvoir réfute et le ministre de l'Intérieur a répété dans la nuit que l'affaire était un "différend" d'ordre privé.
M. Sonko était absent au prononcé de l'arrêt. Il est présumé bloqué par les forces de sécurité chez lui dans la capitale, "séquestré" selon lui. Mais, après deux ans d'une confrontation avec les autorités qui a tenu le pays en haleine, il peut désormais être arrêté "à tout moment", a dit à des journalistes le ministre de la Justice Ismaïla Madior Fall. Une telle arrestation est susceptible d'enflammer les esprits.
Le relativement jeune âge de M. Sonko, son discours souverainiste et panafricaniste, sa défense des valeurs religieuses et des traditions, ses diatribes contre "la mafia d'Etat", les multinationales et l'emprise économique et politique exercée selon lui par l'ancienne puissance coloniale française lui valent une forte adhésion dans une jeunesse en quête de perspectives et d'espoir dans un environnement économique et social difficile. Les moins de 20 ans représentent la moitié de la population.
Un autre facteur de tension est le flou entretenu par le président Sall sur son intention de briguer ou non un troisième mandat en 2024.
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