Rabat et Paris sont en froid depuis des mois, un gel qui dure et s'ancre – le poste d'ambassadeur du Maroc en France est toujours vacant – malgré les dénégations françaises. Pas d'explication non plus côté marocain. A l'origine de cette grave brouille, les restrictions des visas visant les ressortissants marocains, une mesure levée en décembre dernier.
Autres pommes de discorde: le vote du Parlement européen condamnant la dégradation de la liberté de la presse au Maroc, dans lequel Rabat a vu un complot anti-marocain "orchestré" par les députés macronistes à Bruxelles, des soupçons d'espionnage marocain (cf. l'affaire Pegasus), les tentatives de réconciliation, jusque là vaines, de Paris avec la puissance rivale algérienne...
Au-delà, le Maroc reproche surtout à la France de ne pas s'aligner sur les Etats-Unis et Israël qui ont reconnu la "marocanité" du Sahara occidental, sacrée "cause nationale" par Rabat. "Les rapports avec les puissances sont appréciés à l'aune de leur position sur le Sahara", rappelle à l'AFP le professeur de sciences politiques, Abdelmoughit Benmessaoud Tredano.
Depuis un demi-siècle, un conflit armé oppose le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par l'Algérie, dans ce vaste territoire désertique bordant l'Atlantique, aux eaux poissonneuses et importantes réserves en phosphates.
Rabat, qui en contrôle la majeure partie, prône un plan d'autonomie sous sa souveraineté exclusive, tandis que le Polisario réclame un référendum d'autodétermination sous l'égide de l'ONU, déjà accepté mais jamais concrétisé.
La décision d'Israël de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental, à l'instar des Etats-Unis, rebat les cartes. "A qui le tour ?", enjoint l'éditorialiste marocain Aziz Boucetta. "La position de la France est importante car de cette position dépend celle de l'Europe (...) On peut donc prévoir une pression encore plus forte qu'elle ne l'est déjà de Rabat sur Paris", prédit-il.
Pour Paris, la position de la France, alliée historique du Maroc, est "claire et constante", en faveur d'"une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (CNSU)". Elle considère le plan d'autonomie marocain comme une base de discussions "sérieuse et crédible" depuis sa présentation en 2007. "Depuis le départ, notre position est clairement favorable au Maroc", souligne l'ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier. Peine perdue.
"Résister aux pressions ?"
"La France continuera-t-elle à faire l'autruche ? Elle est dans la duplicité, se servant du dossier du Sahara pour préserver ses intérêts économiques avec l'Algérie", assène la revue Finances News Hebdo. D'autres sites marocains déplorent le "tropisme algérien" d'Emmanuel Macron, en pleine tension entre Alger et Rabat, sur fond de campagne médiatique anti-française quasi permanente.
"Une certaine presse au Maroc reproche à la France sa frilosité sur la question du Sahara, où sa position est considérée par Rabat comme dépassée", décrypte le politologue Hassan Aourid, ancien porte-parole du palais royal.
Ainsi l'Espagne, l'ancienne puissance coloniale, a fait volte-face en 2022, jugeant l'initiative marocaine "comme la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend". "Le contexte mondial et régional a changé et l'approche française devrait tenir compte de ces changements", plaide Hassan Aourid.
A domicile, la droite française appelle à reconnaître la "marocanité incontestable" du territoire. "La France qui a toujours été le soutien le plus constant du Maroc sur cette question se trouve débordée 'sur sa droite' par une série de reconnaissances de la marocanité du Sahara Occidental. Que faire ? Suivre et violer les résolutions du CSNU ? Ou résister aux pressions ?", s'interroge l'ex-diplomate et analyste Gérard Araud sur Twitter.
Reste que la France demeure un partenaire incontournable de Rabat. Elle a été le premier investisseur étranger au Maroc en 2022 et plus d'un million de touristes français ont visité le pays au premier trimestre 2023. Quelque 45.000 Marocains étudient dans l'hexagone, soit le premier contingent d'étudiants étrangers.
"Les affaires diplomatiques doivent être réglées avec délicatesse. L'impulsivité et les egos doivent laisser la place aux intérêts des deux pays", prône le professeur Tredano. "Il faut laisser le temps au temps. Parfois, ne pas agir ou ne pas réagir est en soi une action", argue l'intellectuel Hassan Aourid, en espérant "un retour à la normalité".
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