"Nous, tous les évêques présents à Rome, avons remis nos postes entre les mains du Saint-Père afin qu'il décide librement pour chacun d'entre nous", indique une déclaration lue devant la presse par deux porte-paroles de la Conférence épiscopale chilienne.
La balle revient désormais dans le camp du pape pour prendre des sanctions nominatives après cette démission collective sans précédent depuis deux siècles.
Dans une courte déclaration adressée jeudi soir aux 34 évêques chiliens, à l'issue de quatre rencontres au Vatican, le pape argentin avait annoncé des "changements" à court, moyen et long terme pour rétablir "la justice".
Mais son véritable acte d'accusation figure dans une autre lettre théoriquement confidentielle de dix pages aux évêques, révélée vendredi par la chaîne de télévision chilienne T13.
Distribuée au premier jour de ses rencontres avec les évêques chiliens, le 15 mai, cette missive du pape évoque des "crimes" et "le douloureux et honteux constat d'abus sexuels sur mineurs, d'abus de pouvoir et de conscience d'une partie du clergé de l'Eglise".
Le pape note que le congédiement de certains prélats est nécessaire mais "insuffisant". Il faut, selon lui, aller urgemment "aux racines" qui ont permis que des abus soient perpétrés au sein d'une Eglise chilienne "élitiste" et "autoritaire".
Une enquête dépêchée par le pape soupçonne des membres de la hiérarchie de l'Eglise chilienne d'avoir détruit des preuves dans des cas d'abus sexuels. Et certains membres du clergé ayant eu un comportement immoral auraient été transférés dans d'autres diocèses, après des tentatives pour "minimiser" leurs actions.
Des graves accusations ont aussi été "qualifiées de manière très superficielle comme improbables", relève le pape, dans sa lettre confidentielle aux évêques. L'enquête du Vatican conclu en outre à "de très graves négligences pour protéger des enfants" de la part d'évêques et de supérieurs de communautés religieuses.
-"pardon" des évêques-
Jeudi, deux représentants de l'épiscopat chilien ont lu une déclaration, d'un ton singulièrement distant, et refusé de répondre aux questions.
"Nous voulons demander pardon pour la douleur causée aux victimes, au pape, au peuple de Dieu et à notre pays pour les graves erreurs et omissions que nous avons commises", ont néanmoins déclaré les évêques.
"Nous remercions les victimes pour leur persévérance et leur courage, malgré les énormes difficultés personnelles, spirituelles, sociales et familiales qu'ils ont dû affronter, auxquelles s'ajoutaient souvent l'incompréhension et les attaques de la communauté ecclésiale", ajoutent-ils.
La démission de l'ensemble de l'épiscopat d'une Eglise est inédite depuis deux siècles.
D'autres convocations à ce niveau ont néanmoins eu lieu à Rome plus récemment sous les pontificats précédents.
En avril 2002, le pape Jean-Paul II avait convoqué à Rome 13 cardinaux et évêques américains après un immense scandale de pédophilie au sein du clergé.
Après l'éclatement d'un autre scandale, en Irlande en 2009, le pape Benoît XVI avait aussi organisé une réunion de prélats irlandais au Vatican en février 2010.
Le pape tente depuis quatre mois de réparer le fiasco médiatique de son voyage au Chili de janvier, quand il avait défendu avec force un évêque chilien, Juan Barros, soupçonné d'avoir caché les actes pédophiles du père Fernando Karadima.
A la lecture en avril des conclusions de 2.300 pages d'enquête, dont 64 témoignages recueillis au Chili et aux États-Unis, le souverain pontife avait reconnu avoir commis "de graves erreurs" d'appréciation et parlé d'un "manque d'informations véridiques et équilibrées".
Il avait alors convoqué tous les évêques du Chili à Rome pour examiner les conclusions du rapport.
Avant de les recevoir, le pape avait accueilli début mai pendant plusieurs jours dans sa résidence du Vatican trois victimes d'abus sexuels.
Juan Carlos Cruz, James Hamilton et Jose Andrés Murillo (victimes du père Fernando Karadima, reconnu coupable en 2011 par un tribunal du Vatican d'avoir commis des actes pédophiles dans les années 1980 et 1990) avaient dénoncé devant la presse l'omerta d'une partie de la haute hiérarchie de l'Église catholique du Chili.
L'un d'eux avait nommément mis en cause le cardinal Javier Errazuriz, membre d'une puissante commission de neuf cardinaux (C9) chargée de conseiller le pape François sur les réformes de la Curie, et qui vient régulièrement à Rome. Jeudi, le cardinal Errazuriz avait accusé les victimes de "calomnies" dans un entretien à la télévision chilienne T13.
Avec AFP