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Sécurité, plage et wifi: heureux, les Congolais du Rwanda


Une Congolaise de la ville voisine de Goma se trouve à la station balnéaire de Tam Tam, à Gisenyi, au Rwanda, le 25 mars 2018.
Une Congolaise de la ville voisine de Goma se trouve à la station balnéaire de Tam Tam, à Gisenyi, au Rwanda, le 25 mars 2018.

En 1994, des centaines de milliers de Rwandais ont fui leur pays en guerre pour se réfugier en République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Aujourd'hui, des Congolais en quête de sécurité et de meilleures conditions de vie entreprennent le chemin inverse pour s'installer dans les villes frontalières d'un Rwanda devenu stable et attractif.

Ils quittent Goma et Bukavu, grandes villes autour du lac Kivu, pour Gisenyi (face à Goma) et Kamembe (face à Bukavu).

L'exode massif en 1994 de Hutus du Rwanda, parmi lesquels des auteurs du génocide des Tutsis, avait plongé à son tour l'est de la RDC dans la guerre. Près d'un quart de siècle plus tard, l'insécurité y perdure.

"En 2013 j'ai reçu des menaces à Goma. On m'avait évacué à Gisenyi (au Rwanda). Je suis revenu à Goma un an après mais je craignais toujours pour ma sécurité. Trois amis du quartier ont été tués", raconte Jacques Kahora, un travailleur humanitaire.

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En 2016, il s'est installé définitivement à Gisenyi, juste de l'autre côté de la frontière.

C'est aussi là qu'Adrien, un Congolais de Goma, loue une maison depuis dix mois pour 80 dollars mensuels: "Principalement pour l'accès à certaines choses basiques, l'eau et l'électricité", explique-t-il. "A Gisenyi, il n'y presque pas de délestages (coupures de courant, ndlr), alors qu'à Goma, c'est quotidien et tu peux rester une semaine sans courant."

Le Rwanda offre aussi un wifi très performant, sur lequel d'ailleurs des Congolais de Goma et Bukavu se connectent quand les autorités congolaises coupent l'accès internet les jours de manifestations.

Un Congolais de la ville voisine de Goma se trouve à la station balnéaire de Tam Tam, à Gisenyi, au Rwanda, le 25 mars 2018.
Un Congolais de la ville voisine de Goma se trouve à la station balnéaire de Tam Tam, à Gisenyi, au Rwanda, le 25 mars 2018.

Check point

"C'est plus calme que Goma", ajoute Adrien, un célibataire de 28 ans qui revient tous les jours dans sa ville d'origine - un trajet de quelques minutes - pour son travail dans une ONG et pour voir ses proches.

Comme lui, la plupart des transfrontaliers congolais continuent leurs activités à Goma et Bukavu, et ne font que dormir au Rwanda: "Ici (à Gisenyi), on amène seulement le sommeil", selon la formule de Leston Kambale, un Congolais de 38 ans installé depuis huit ans dans la ville frontalière.

"En tant qu'informaticien, j'avais besoin d'électricité 24 heures sur 24. Et puis, il y a la sécurité. Ici à Gisenyi, on se promène du soir au matin", souligne ce père de trois enfants nés et scolarisés côté rwandais.

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La libre-circulation entre les deux pays n'est pourtant pas totale. Le matin, les Congolais présentent leur passeport ou leur "autorisation spéciale de circulation" délivrée par la Communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL) aux guichets des deux postes douaniers identiques et flambant neufs sur la corniche du lac Kivu, côté rwandais, puis côté congolais.

Même chose le soir en sens inverse, en tous cas jusqu'à 22h00, heure de fermeture de la douane congolaise.

Pour s'établir au Rwanda, les Congolais s'acquittent d'une carte de résident valable deux ans, pour un montant dérisoire (20.000 francs rwandais, soit 23,2 dollars).

"Mille collines contre mille trous"

Impossible de quantifier les Congolais qui migrent au Rwanda - des personnes seules ou en couple tout autant que des familles - mais le mouvement semble à la hausse.

"Hier en rentrant, j'ai rencontré des amis qui allaient chercher des maisons à Gisenyi", témoigne Adrien.

Le dimanche, de jeunes Gomatraciens traversent aussi la frontière pour une journée de détente sur la plage Tam-Tam aménagée au bord du lac Kivu.

"A Goma, il n'y a que des propriétés privées au bord du lac. Ici à Gisenyi, on peut encore se baigner", témoigne Guilain Balume, un journaliste croisé entre le terrain de volley-ball et les pédalos.

Au sud du lac, des Congolais quittent aussi Bukavu, ses grappes de maisons aux toits pentus à flanc de collines surpeuplées et sa circulation chaotique, pour la ville frontalière de Kamembe près de Cyangugu: "Le Rwanda, c'est le pays des 1.000 collines, et nous, celui des 1.000 trous", ironise Jean, un chauffeur qui conduit sur une route parfaitement défoncée.

"Plus de 900 ménages ont quitté Bukavu pour vivre désormais à Kamembe au Rwanda", selon Patient Bashombe, qui préside le bureau de la coordination de la société civile du Sud Kivu.

Des Congolais commencent même à acheter des terrains au Rwanda, ajoute-t-il. Plus pacifiques que les groupes armés du Kivu, ils se sont constitués en association, qui vient de tenir une assemblée générale.

Plus grand et moins cher

"Je vis mieux à Kamembe. La ville est propre, il n'y a pas d'insécurité ni de constructions anarchiques comme à Bukavu", estime John Shindano, un caméraman d'une trentaine d'années qui s'est installé en 2016 à Kamembe.

"J'habite actuellement une maison spacieuse avec trois chambres que je paie à 60 dollars par mois, une maison que j'aurais payée plus de 150 dollars à Bukavu. En plus, à Kamembe, le bailleur n'a exigé que trois mois de (dépôt de) garantie, contrairement à Bukavu où les bailleurs exigent 10 à 12 mois", précise-t-il.

Mais les prix commencent à monter côté rwandais, sous la pression de la demande croissante des Congolais, dit-il.

Au poste frontière de Goma-Gisenyi, un Congolais d'un certain âge rentre "chez lui" au Rwanda après un dimanche en famille à Goma: "Les Rwandais nous ont conquis avec des armes. Nous sommes en train de les conquérir économiquement".

Il plaisante, bien sûr.

Avec AFP

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