Mais Macky Sall prend le risque de voir certains opposants sortir du purgatoire et revenir disputer son leadership, soulignent des analystes.
Le premier acte s'est joué vendredi à Dakar lors de l'inauguration de ce qui est présenté comme la plus grande mosquée d'Afrique de l'Ouest. L'évènement à caractère religieux et social a pris une tournure politique quand, sur l'entremise d'un des plus éminents guides spirituels du pays, M. Sall a serré la main de son prédécesseur Abdoulaye Wade, des retrouvailles tout sauf fortuites et abondamment photographiées.
MM. Wade et Sall ne se parlaient plus. L'ancien président (de 2000 à 2012) tient l'actuel (depuis 2012) pour responsable du sort de son fils et héritier politique, Karim Wade.
Karim Wade a été condamné en 2015 à six ans de prison ferme et à plus de 210 millions d'euros d'amende pour "enrichissement illicite". Après trois ans de prison, dont deux en préventive, il a été gracié par le président et libéré en 2016. Il vit depuis en exil au Qatar.
Deuxième acte de pacification dimanche, au profit d'un autre proscrit. M. Sall gracie Khalifa Sall, détenu depuis deux ans et demi. Khalifa Sall, qui n'a aucun lien de parenté avec le chef de l'Etat, avait été condamné à cinq ans de prison sous l'accusation d'avoir détourné environ 2,5 millions d'euros en tant que maire de Dakar.
Ce sont deux anciens rivaux de Macky Sall qui étaient hors course.
A la présidentielle de février, Karim Wade avait été désigné candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS, opposition) dirigé par son père. Mais sa candidature avait été rejetée par le Conseil constitutionnel.
"Décrispation"
Quant à Khalifa Sall, le triomphe que lui ont fait ses supporteurs à travers Dakar à sa sortie de prison rend compte de la portée de la grâce présidentielle. Lui non plus n'avait pu concourir à la présidentielle.
Depuis dimanche, le mot "décrispation" est sur toutes les bouches.
Macky Sall, réélu au premier tour en 2019 pour en principe un deuxième et dernier mandat s'achevant en 2024, "était dans une situation assez délicate", explique à l'AFP le journaliste et politologue Babacar Justin Ndiaye. "Il y a une conjoncture délétère dans le pays avec une impopularité croissante. Il avait besoin de ce grand coup".
Macky Sall, 58 ans, mène une politique de grands travaux pour mettre son pays, en pleine croissance économique, sur la voie de l'émergence. La stabilité du pays de 15 millions d'habitants et la perspective du début de l'exploitation de gaz et de pétrole en 2022 servent ses plans.
Mais la réduction des dépenses publiques et l'augmentation des prix alimentent la grogne.
Un reportage de la BBC sur l'attribution des marchés de gaz et de pétrole et la mise en cause du frère du président ont rejailli sur Macky Sall.
Les récents dégâts humains et matériels causés par la saison des pluies ont exaspéré la population.
Faille institutionnelle
La présidentielle elle-même, pourtant saluée pour une régularité rare sur le continent, a laissé des traces. Les adversaires de Macky Sall dénoncent sa dérive autoritaire.
Le quotidien gouvernemental le Soleil notait que la politique d'émergence et l'exploitation en vue des hydrocarbures nécessitaient "un climat politique apaisé et un environnement des affaires des plus attractifs".
Plus incisif, Alioune Tine, fondateur du think-tank Afrikajom Center, voit dans les récents actes du président "une bouée de sauvetage".
La question est cependant posée de l'éventuel retour de bâton. Pour l'instant, Khalifa Sall et Karim Wade restent privés de leurs droits civiques.
Mais, pour l'analyste Babacar Justin Ndiaye, le prochain fruit de la réconciliation entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, "ce sera le retour de Karim Wade".
"Les deux cas, Khalifa Sall et Karim Wade, sont forcément liés et seront couronnés par des amnisties" leur permettant de recouvrer leurs droits civiques, assure-t-il.