Liens d'accessibilité

Dernières nouvelles

Sierra Leone : un an après les émeutes, les familles des victimes réclament toujours justice


Des policiers et des soldats de la Sierra Leone, à Makeni, le 15 octobre 2017.
Des policiers et des soldats de la Sierra Leone, à Makeni, le 15 octobre 2017.

Aminata Kabba a appris par une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux que son fils avait été abattu par des hommes armés seulement quelques jours après les émeutes qui ont éclaté en Sierra Leone en août 2022.

"J'ai juste pensé à mourir ce jour-là, avec mon fils", dit à l'AFP cette cuisinière de 65 ans originaire de Makeni, dans le nord de la Sierra Leone.

Son fils, Hassan Dumbuya, alias Evangelist Samson, un fervent partisan du parti d'opposition All People's Congress (APC), connu pour ses vidéos et audios acerbes sur les réseaux sociaux, a été tué voici un an, lors de manifestations dans tout le pays qui ont dégénéré en émeutes faisant plus de 30 morts, dont sept officiers de police.

Selon la police, il est mort dans des tirs croisés lors d'un raid contre une "cachette" des "meneurs" de l'insurrection.

Pour sa mère, Hassan a été attiré dans un piège et abattu dans un marais alors qu'il tentait de s'enfuir.

Des habitants de Makeni affirment que des dizaines de personnes de cette ville, bastion de l'APC, ont été arrêtées dans les jours qui ont suivi, et plusieurs autres tuées.

Amnesty International a dit avoir recueilli des témoignages faisant état d'un recours excessif à la force pendant les émeutes.

Une commission d'enquête nommée par le président Julius Maada Bio a qualifié les violences, qui ont éclaté à la suite d'une manifestation pacifique contre la vie chère, d'"insurrection contre le gouvernement central".

Hassan Dumbuya, 36 ans, "venait d'une famille pauvre mais il savait comment parler aux autres - il aimait partager tout ce qu'il y avait à partager...", selon sa mère.

Funérailles

Vingt-sept corps de civils tués lors de ces émeutes et des raids qui ont suivi ont été conservés dans une morgue de la capitale Freetown pendant près de deux mois.

Plusieurs familles interrogées par l'AFP ont affirmé que les autorités avaient refusé de remettre les corps pour des enterrements privés, préférant organiser des funérailles nationales à la mi-octobre.

La plupart des victimes étaient originaires du nord du pays, à majorité musulmane, et leurs familles souhaitaient les enterrer rapidement.

Selon un journaliste de l'AFP présent aux funérailles nationales, une odeur nauséabonde se dégageait des cercueils.

Aminata Kabba, la mère d'Hassan, a assuré que des gardes armés l'avaient empêchée de s'approcher du cercueil de son fils lors des funérailles. Elle a dit que l'État avait offert à sa famille 20 millions de leones (environ 911 euros), mais qu'elle avait refusé parce que la vie de son fils "valait plus".

"Donnez-moi mon enfant", supplie Mme Kabba. "Donnez-moi le corps de mon enfant".

Alie Koroma, 27 ans, a lui dit à l'AFP qu'il avait été arrêté avec trois autres hommes à l'aube, le lendemain des émeutes, et qu'on l'avait fait marcher vers un champ voisin : "Soudain, j'ai entendu des coups de feu. On m'a tiré dessus et je suis tombé", a-t-il raconté à l'AFP.

Le jeune homme, qui a affirmé n'avoir rien à voir avec les émeutes et n'être même pas sorti de chez lui le 10 août, a dit que la police lui avait tiré une balle dans l'épaule.

Son cousin, Alie Daniel Tholley, 25 ans, handicapé mental selon ses proches, a été tué, selon plusieurs membres de sa famille et des voisins interrogés par l'AFP.

Coup de feu

La mère d'Alie, Jattu, se cachait dans une maison voisine lorsqu'elle a entendu le coup de feu qui a tué son fils. "Mon fils était très proche de moi... il restait toujours près de moi", a-t-elle dit à l'AFP, essuyant des larmes sur sa joue.

La commission d'enquête nommée par le gouvernement a indiqué en avril dernier que "les allégations d'exécutions extrajudiciaires" à la suite des manifestations "n'ont pas pu être confirmées sur la base des preuves recueillies".

Toutefois, "les allégations publiques d'exécutions extrajudiciaires, en particulier pendant les heures de couvre-feu qui ont suivi l'insurrection, devraient faire l'objet d'un examen plus approfondi", a-t-elle ajouté.

Les familles interrogées par l'AFP à Makeni ont assuré qu'elles n'avaient pas été contactées par les enquêteurs.

L'AFP a rencontré cinq autres hommes de la même communauté qui ont tous dit avoir été arrêtés le 11 août, battus et conduits dans une prison de Freetown où ils ont été détenus pendant plus d'un mois, ne recevant parfois qu'un seul repas par jour.

Tous ont affirmé qu'ils n'avaient pas participé aux émeutes.

"Le gouvernement réaffirme son attachement aux recommandations du rapport" de la commission d'enquête, a dit à l'AFP Yusuf Keketoma Sandi, ministre adjoint à l'Information, rappelant que l'objectif des manifestations était de "destituer le président légitime" Julius Maada Bio, réélu en juin pour un second mandat.

Forum

XS
SM
MD
LG