À 57 ans, Socklo - le pseudonyme dont M. Misoko signe ses oeuvres - crée des instruments de musique depuis des années dans le même petit atelier de Lemba, quartier populaire de la capitale de la République démocratique du Congo: une cahute de tôle et de parpaings d'une dizaine de mètres carrés au sol en terre jonché de débris de bois.
Socklo raconte avoir appris à jouer de la guitare alors qu'il était encore à l'école secondaire pour conjurer la maladie et s'"occuper" autrement qu'en tapant dans un ballon.
Un jour, l'idée lui vient de reproduire l'instrument qu'il a acheté. Le résultat n'a pas été fameux, s'amuse-t-il: "Ma première guitare [avait la forme d'une] guitare mais si vous mettiez les cordes et que vous l'accordiez, le manche se repliait sous l'effet de la tension, il n'y avait pas moyen de jouer !"
Après un passage à l'Institut supérieur des techniques appliquées (ISTA) de Kinshasa, où il a "fait l'électronique" - ce qui lui vaut de signer ses créations "Ir Socklo", pour Ingénieur Socklo - le jeune Jean-Luther s'installe véritablement dans la lutherie en 1978.
Le cheveu court et blanchissant, Socklo raconte de sa voix douce qu'il a appris seul et inventé intégralement son processus de fabrication. Aujourd'hui, il forme des apprentis autant qu'il le peut.
Sur un établi de fortune, l'artisan travaille dans un joyeux fouillis avec des outils simples: une scie égoïne, un rabot, quelques ciseaux à bois pour façonner le bois, des pinces coupantes, un marteau et une enclume pour fabriquer les frettes à partir de morceaux de métal.
Machine à filer
Aux murs, des portraits des dirigeants congolais Mobutu (1965-1997) et Kabila père (1997-2001) et fils (Joseph, au pouvoir depuis 2001) voisinent avec un poster hors d'âge de Michael Jackson.
Avec les années, Socklo a pu acquérir une scie sauteuse et quelques autres outils électriques, mais leur utilisation n'est pas aisée car l'électricité manque souvent. D'où la nécessité d'être pragmatique: "Le jour où j'ai du courant, je fais tout le travail pour lequel j'ai besoin du courant. Et le jour où nous manquons de courant, je continue à travailler" le reste.
Tous les musiciens les ayant essayées le diront: les guitares Socklo ont un son particulier, typiquement congolais. Pour la caisse de résonance, le luthier utilise du contreplaqué produit localement. Le manche est généralement en wengé ou en bois rouge.
La récupération marche à fond. Des pitons vissés sur la tête d'une guitare basique font office de clefs pour accorder l'instrument. Pour les cordes, Socklo utilise des câbles de freins ou de haubans qu'il dépèce patiemment. Pour les cordes basses, il a mis au point une machine permettant de les filer avec des câbles de cuivre prélevés sur des bobines.
Pour les guitares électriques ou électro-acoustiques en revanche, fabriquer les micros prendrait trop de temps: Socklo les achète, en provenance d'Europe de préférence.
Jupiter & Pépé
Il dit pouvoir produire deux à trois guitares par semaine mais certaines commandes spéciales nécessitent un soin particulier et prennent "plus de temps". Au total, il pense avoir "fabriqué et vendu plus de 10.000 guitares", une estimation sans doute optimiste.
Mais une chose est sûre: les instruments produits par Socklo restent abordables, même compte tenu de la misère endurée par la quasi-totalité des 10 millions d'habitants de la capitale congolaise. Leur prix varie de 35 à 50 dollars pour une guitare ou une basse acoustique et peut monter jusqu'à 150 ou 200 dollars pour une guitare électrique ou électroacoustique.
On ne compte plus les musiciens qui ont pu commencer à jouer grâce à lui, même si, lorsque vient le succès, beaucoup lui font des infidélités avec des instruments américains, européens ou japonais.
Parmi les grands noms de la musique congolaise ayant joué ou jouant encore sur ses guitares, Socklo revendique Jupiter Bokondji (Okwess International), les Staff Benda Bilili ou encore Pépé Felly Manuaku.
La renommée de ses créations dépasse les frontières de la RDC. Le guitariste de jazz Philip Catherine a contribué à les faire connaître en Belgique. Dans le "book" de Socklo, ce musicien belge côtoie le Français Yarol Poupaud, qui avait enregistré à Kinshasa le premier CD de Jupiter avant de devenir il y a quelques années le guitariste attitré de Johnny Hallyday. D'autres clients inconnus, américain, vénézuélien, britannique, ont aussi leur photo, tous sont passés un jour par Kinshasa.
Avec les commandes qui s'enchaînent, Socklo n'a pratiquement plus le temps de pincer les cordes. "J'ai joué de la guitare, je faisais danser les gens, mais aujourd'hui", dit-il, heureux, "ce sont mes guitares qui font danser".
Avec AFP