Les forces de sécurité ont arrêté dimanche le chef de bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Khartoum, renforçant la pression sur les médias au lendemain de la mort de six manifestants lors d'une des journées les plus sanglantes depuis le putsch militaire.
Après la détention de centaines de militants, opposants et manifestants hostiles au coup d'Etat mené le 25 octobre par le général Abdel Fattah al-Burhane, les autorités "ont perquisitionné la maison du chef de bureau d'Al-Jazeera, Al-Moussalami al-Kabbachi", un Soudanais, et l'ont arrêté", selon la télévision satellitaire.
Le Soudan est entré dans une période de turbulence le 25 octobre quand le général Burhane, le chef de l'armée et auteur du coup d'Etat, a fait arrêter la plupart des civils avec lesquels il partageait le pouvoir, dissous les institutions du pays dont la plus importante -le Conseil de souveraineté- et décrété l'état d'urgence.
Depuis, Al-Jazeera a couvert et diffusé en direct les manifestations hostiles au putsch et interviewé il y a moins d'une semaine le général Burhane qui n'a accordé que deux entretiens depuis son coup de force.
Dimanche, la chaîne a dit "tenir les autorités soudanaises responsables de la sécurité de tous ses employés", ajoutant qu'elle continuera "à couvrir les affaires mondiales" avec "professionnalisme".
Avant l'arrestation de M. Kabbachi dont les causes demeurent inconnues, de nombreux journalistes des médias officiels ont, dans le sillage du putsch, été remplacés et interdits de revenir à leur poste.
Manifestations mercredi
Samedi, les partisans d'un pouvoir civil sont parvenus à rassembler à travers le pays des dizaines de milliers de personnes contre le coup d'Etat, malgré un déploiement militaire impressionnant et une coupure d'internet persistante.
"Plus de 50 personnes ont été arrêtées samedi. Les juges ont ordonné leur libération mais la police les a emmenées dans un lieu inconnu", a déclaré à l'AFP l'avocate Enaam Attik.
Selon un dernier bilan du syndicat de médecins prodémocratie, six manifestants ont été tués dans les défilés à Khartoum, dont un adolescent de 15 ans et un jeune de 18 ans, al-Cheikh Yasser Ali.
Son oncle, Zaher Ali, a assisté à l'autopsie. "Il a reçu une balle qui lui a perforé le coeur et les poumons. C'était horrible, j'ai failli m'évanouir à la morgue", a-t-il raconté à l'AFP à Omdourman, banlieue nord-est de Khartoum.
Depuis le 25 octobre, 21 manifestants ont été tués et des centaines blessés dans la répression d'après le syndicat.
La police a nié avoir ouvert le feu sur les manifestants et fait état de blessés dans ses rangs.
L'ambassade des Etats-Unis a condamné un usage "excessif de la force". Vicky Ford, chargée de l'Afrique pour la diplomatie britannique, a estimé que "les Soudanais doivent pouvoir exprimer leurs opinions", appelant l'armée à "écouter le nombre énorme réclamant le retour à la transition démocratique".
L'Union européenne a indiqué qu'elle "tiendrait les autorités pour responsables des violations des droits humains" et s'est dite "très inquiète" de la détention de journalistes.
Dès vendredi, l'ONU et plusieurs ambassadeurs occidentaux avaient appelé les forces de sécurité à la retenue dans un pays où plus de 250 manifestants ont été tués lors de la révolte populaire qui poussa l'armée à écarter en avril 2019 le dictateur Omar el-Béchir.
Mais la répression sanglante n'a pas entamé la détermination du front anti-putsch.
Les Forces de la liberté et du changement (FLC), bloc civil né de la révolte anti-Béchir, ont appelé à une nouvelle manifestation mercredi.
"Notre route vers un Etat civil et démocratique ne s'arrête pas là", a affirmé dans un communiqué le bloc, dont plusieurs dirigeants ont été arrêtés depuis le putsch.
"Le peuple décide"
"Pas de négociation avec les putschistes, c'est le peuple qui décide", a affirmé l'un des leaders des FLC, Hamza Baloul, ministre de l'Information arrêté le 25 octobre puis relâché, qui a manifesté samedi, selon une vidéo en ligne.
A l'étranger, des Soudanais ont protesté dans plusieurs villes européennes.
Faisant fi des condamnations internationales, le général Burhane a rétabli, sous sa direction, le Conseil de souveraineté en y nommant des militaires et des civils apolitiques en remplacement de ceux qu'il avait déposés ou arrêtés.
Lui et son second, le général Mohammed Hamdane Daglo, chef des RSF accusé d'exactions, ont promis "des élections libres et transparentes" à l'été 2023.
Des promesses loin d'avoir apaisé l'opposition.
"Maintenant que le coup d'Etat a eu lieu, les militaires veulent consolider leur mainmise sur le pouvoir", selon Jonas Horner, chercheur à l'International Crisis Group.
L'armée n'a libéré que quatre ministres arrêtés lors du putsch, et le Premier ministre renversé Abdallah Hamdok demeure en résidence surveillée.
Face aux appels à un retour au gouvernement civil, le général Burhane n'a toujours pas annoncé un nouveau gouvernement dont il a pourtant promis la formation "imminente".