Mardi, les rues de Khartoum étaient restées quasi désertes. La plupart des commerces ont fermé. Seule une poignée de voitures et de "riksha", ces tricycles à moteur faisant office de taxi, circulaient.
De nombreuses rues ont été bloquées par des pierres, des troncs d'arbres et des pneus: des barricades de fortune érigées par les manifestants face aux hommes lourdement armés des Forces de soutien rapide (RSF), déployées partout dans la capitale soudanaise.
Ces forces sont accusées par le mouvement de contestation d'être les principaux auteurs de la dispersion par la force du sit-in devant le QG de l'armée lundi qui a fait "plus de 35 morts" et "des centaines de blessés", selon un bilan du Comité central des médecins, proche de la contestation.
"Le nombre de morts comptabilisés dans les hôpitaux (lundi) et (mardi) est de 40", a annoncé cette organisation dans un communiqué, alors que la journée de mardi a été émaillée de coups de feu des forces de sécurité dans les rues, selon des témoignages d'habitants à travers le pays.
Ce sit-in, dans le prolongement de la contestation inédite déclenchée en décembre, avait débuté le 6 avril pour réclamer le départ du président Omar el-Béchir, destitué par l'armée cinq jours plus tard et remplacé par un Conseil militaire de transition. Le rassemblement s'est poursuivi pour exiger le transfert du pouvoir aux civils.
- Blocage à l'ONU -
Des images amateurs filmées durant la dispersion montrent des dizaines de manifestants, essentiellement des jeunes, courant pour fuir les balles tirées de loin. Dans leur course, certains transportent péniblement des blessés.
"La situation est maintenant pire que jamais", a condamné l'Association des professionnels soudanais (SPA), clé de voute de la contestation.
"Nous appelons tous les Etats et les organisations à isoler et à cesser de traiter avec le soi-disant Conseil militaire", a déclaré la SPA dans un communiqué, dénonçant des "crimes contre l'humanité".
Lors d'une conférence de presse mardi à Londres, le Syndicat des médecins soudanais a accusé les forces de sécurité d'avoir attaqué des hôpitaux dans tout le pays. Des femmes ont été violées à Khartoum, a dénoncé l'organisation sans préciser d'où elle tirait ses informations.
La Croix-Rouge internationale a annoncé sur Twitter avoir fourni du matériel médical. "Le passage en toute sécurité des ambulances, du personnel médical et du matériel est essentiel", selon elle.
Après la répression du sit-in, le mouvement de contestation a décidé de rompre "tout contact" avec le Conseil militaire et appelé les Soudanais à continuer les "marches pacifiques".
La SPA a appelé à "la grève et à la désobéissance civile jusqu'au renversement du régime".
Elle a en outre réclamé une enquête indépendante "sous supervision internationale autour du massacre" devant le QG de l'armée.
Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est réuni à huis clos mardi en urgence pendant deux heures à la demande de l'Allemagne et du Royaume-Uni, qui ont fait circuler un communiqué appelant les militaires et les manifestants au Soudan à "continuer à travailler ensemble vers une solution consensuelle à la crise en cours", selon le document consulté par l'AFP.
Mais l'initiative a été bloquée par la Chine, qui a fermement rejeté ce texte, et par la Russie, qui a exhorté à la prudence et insisté pour attendre une réponse de l'Union africaine, ont indiqué des diplomates.
- Prières et manifestations -
Malgré le déploiement massif d'hommes en uniformes et de véhicules des RSF, la contestation a appelé les Soudanais à se rendre dans la rue et dans les mosquées pour prier à l'occasion de l'Aïd el-Fitr, qui marque la fin du mois de ramadan, malgré une décision des autorités de fixer à mercredi la date de cette fête.
A Port-Soudan (est), sur la mer Rouge, après la prière, les fidèles ont défilé en criant "Chute du Conseil militaire" et "Pour un pouvoir civil", a indiqué un témoin.
Dans le quartier de Chambat à Khartoum, des Soudanais se sont réunis dans la rue pour prier, "mais les RSF et la police ont tiré des gaz lacrymogènes et des grenades assourdissantes", selon un habitant. Et "les jeunes ont fermé la rue principale avec des barricades".
A Chambat, comme dans un autre quartier Khartoum, Burri, des coups de feu ont continué de retentir dans la soirée de mardi, selon des témoignages de résidents.
- "Statu quo autoritaire" -
Le Conseil militaire a dit "regretter" les violences de lundi. Il a évoqué une "opération de nettoyage" près du sit-in par les forces de sécurité qui a mal tourné.
Dans le même temps, il a décidé de "cesser les négociations avec l'Alliance pour la liberté et le changement" (ALC), qui chapeaute le mouvement de protestation, et appelé à "des élections générales dans un délai de neuf mois maximum", selon un communiqué de son chef, le général Abdel Fattah al-Burhane.
Les élections se tiendront sous "une supervision régionale et internationale", a-t-il ajouté, en s'engageant à "garantir les libertés publiques".
Le général Burhane vient d'effectuer une tournée en Arabie saoudite, aux Emirats arabes unis et en Egypte, trois pays qui souhaitent "maintenir le statu quo autoritaire et tentent systématiquement d'appuyer les anciens régimes et leurs armées", selon le chercheur Karim Bitar, de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Pour la SPA, le discours du général Burhane ne fera que "raviver la flamme de la révolution". "Ni le Conseil putschiste, ni ses milices, ni ses dirigeants, ne peuvent décider du sort du peuple et de la manière de gérer la transition vers un pouvoir civil".
Avec AFP