La bataille sur le fond attendue depuis fin janvier sur la compatibilité du monopole des instances sportives avec le droit européen de la concurrence va enfin s'ouvrir à Luxembourg, où siège la CJUE qui vient d'être saisie par un juge espagnol.
Malgré le retrait rapide de neuf des douze clubs initiateurs de ce projet qui a fait trembler sur ses bases le football européen, Florentino Perez, le patron du Real Madrid et du projet de Super Ligue, n'a pas dit son dernier mot: d'après un document que l'AFP a pu consulter jeudi, un tribunal de commerce de Madrid a transmis une question préjudicielle à la CJUE. Il veut qu'elle lui dise si la FIFA et l'UEFA ont violé les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui interdisent les monopoles.
Dans son ordonnance, le juge Manuel Ruiz de Lara demande à la justice européenne si les menaces de sanctions brandies par la FIFA et l'UEFA envers les membres de la Super Ligue pourraient "entrer dans le cadre" des quelques exceptions édictées dans ces articles. Le juge relève toutefois que l'opposition à ce championnat fermé entrave "la concurrence potentielle du marché" et limite "le choix du consommateur".
- Du terrain aux tribunaux ? -
Par mesure de précaution, ce même magistrat espagnol avait déjà interdit le 20 avril dernier à l'UEFA d'ordonner des sanctions envers les clubs participants à la Super Ligue européenne, ainsi que de prendre n'importe quelle mesure pouvant empêcher la préparation et la création de cette dernière, dans l'attente d'une décision au fond.
"Le jugement aura un gros impact sur la clarification conceptuelle et l'approbation future de ligues alternatives. Il confirmera (ou non) que l'UEFA a le droit de réguler l'accès au marché organisationnel en opposant des restrictions dans l'intérêt du public", a indiqué mercredi sur Twitter Katarina Pijetlovic, chercheuse en droit du sport à l'Université de Manchester et spécialiste des ligues fermées.
La question est cruciale pour la régulation du sport continental, bien au-delà du football, puisqu'elle opposera la défense du monopole des instances et la prétention d'acteurs privés à créer leurs propres compétitions.
Elle pourrait également déboucher sur le terrain politique puisque la France et l'Angleterre avaient fait connaître leur opposition à la Super Ligue. Londres a même promis de n'écarter "aucune mesure" pour stopper un tel projet, "y compris l'option législative".
- L'UEFA lance les hostilités -
Mercredi, l'UEFA avait lancé les hostilités en engageant des poursuites disciplinaires contre le Real Madrid, le FC Barcelone et la Juventus Turin, les trois derniers mutins du projet de Super Ligue européenne, concurrente de la Ligue des champions.
Parmi l'éventail de sanctions prévues par les statuts de l'UEFA, les plus lourdes pour les clubs sont "l'exclusion de compétitions en cours et/ou de compétitions futures" et, pour les dirigeants, "l'interdiction de toute activité relative au football".
Vendredi, l'UEFA avait déjà négocié de légères sanctions financières avec les neuf clubs des douze membres initiaux qui y avaient renoncé, et les avait réintégrés dans son giron.
Pourtant, en saisissant la justice européenne, le juge espagnol rappelle que l'article 101 du TFUE interdit les pratiques "qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de réfréner ou de falsifier le jeu de concurrence au sein d'un marché", même s'il existe des exceptions.
En annonçant dans la nuit du 18 au 19 avril leur propre "Super Ligue" privée, à la veille d'une réforme très attendue de la Ligue des champions, ses douze promoteurs ont chamboulé le football européen et menacé l'existence même de l'UEFA.
Le retrait progressif des six participants anglais, au bout de 48 heures, a entraîné la mise en sommeil du projet, et neuf des mutins ont fait amende honorable auprès de l'UEFA en acceptant vendredi de payer ensemble 15 millions d'euros et de renoncer à 5% de leur manne européenne pour une saison.