Des commerces sont éventrés après le passage des pillards. Sur le bitume brûlé par les flammes, des chaussures dépareillées de femmes ont été abandonnées par les voleurs qui ont défoncé la porte en tôle du cordonnier du quartier et vidé tout ce qui se trouvait dans l'échoppe. Personne ne connaît les pillards, assure le voisinage. Pourtant tout le monde se connaît.
"Tout ça, c'est la faute d'Ali" Bongo Ondimba, le président dont la réélection a déclenché une vague d'émeutes meurtrières et de pillages dans la capitale gabonaise, lance un jeune homme à l'adresse des journalistes: "on n'a pas de travail, on n'a pas mangé depuis trois jours".
La ville est paralysée depuis le début de la semaine. Anticipant des pillages après l'annonce des résultats de l'élection présidentielle, nombre de commerçants - surtout les petits épiciers de quartier, généralement ouest-africains- avaient fermé leurs boutiques. Les pillages ont quand même eu lieu et désormais, il n'existe plus d'endroit pour se ravitailler. Trop risqué de sortir sur la voie express toute proche. Les forces de sécurité y sont présentes en masse.
L'autre sortie de Nstara est bloquée par une barricade en feu. Les habitants du quartier sont prisonniers chez eux. Seule une normalisation de la situation leur permettrait de sortir. Mais ils ne veulent pas d'un retour à la normale. "On veut qu'Ali s'en aille. On ne lui veut pas du mal, on veut juste qu'il parte. Avec tout son argent s'il veut", dit une femme qui approche de la quarantaine.
Pas de travail sans relations
"Nos enfants font des études, mais il n'y a pas de travail pour toi si tu ne connais pas un +grand quelqu'un+", expression désignant les personnes de pouvoir, ajoute-t-elle.
Ce sentiment profond d'être exclu de tout avenir faute d'appartenir au cercle restreint de ceux qui dirigent le pays depuis un demi-siècle alimente les frustrations et nourrit les rancoeurs. "On ne veut plus des Bongo", s'exclame Adrien, qui en a assez de cette dynastie qui dirige le pays depuis près d'un demi-siècle.
Avec une dizaine d'autres jeunes adultes, ils renversent un énorme bloc de béton pour ériger une nouvelle barricade. "Ils ne rentreront pas ici", promet-il, au milieu de ferrailles calcinées qui bloquent déjà les accès du quartier. Les autres rient, tout en continuant à pousser le bloc de béton, en fait un morceau de caniveau abandonné et qui devait à l'origine servir à évacuer les eaux usées ou de pluie. Mais l'eau stagne depuis "kala-kala" (une éternité) dans le quartier. Encore un chantier public inachevé comme il y en a tant dans la capitale.
"On en a marre de tout ça, ça dure depuis trop longtemps", reprend Adrien.
A l'écart des débats "révolutionnaires", deux hommes observent la scène. L'un est un immigré ouest-africain - ils sont nombreux au Gabon et occupent les "petits métiers". Il préfère taire son nom : "On a peur, on n'ose plus sortir. Ici (au Gabon) c'est toujours la faute des étrangers".
Presqu'en face de lui, de l'autre côté de la chaussée, un vieil homme observe la construction de la nouvelle barricade avec un sourire ironique: "ils parlent beaucoup. Mais on va voir ce qu'ils feront quand Ali va venir avec ses chars..."
Avec AFP