Des militaires turcs et leurs supplétifs syriens ont pris jeudi le "contrôle total" de la ville de Jandairis, située dans le sud-ouest de la région d'Afrine, a indiqué l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
Cette victoire survient alors que la progression des forces d'Ankara, qui ont lancé le 20 janvier une offensive contre la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), qualifiée de "terroriste" par la Turquie, est particulièrement coûteuse en hommes.
Selon l'état-major turc, plus de 40 militaires turcs ont été tués depuis le début de cette opération militaire baptisée "Rameau d'olivier" qui a tendu les rapports entre Ankara et Washington, les Etats-Unis appuyant les YPG contre le groupe Etat islamique (EI) en Syrie.
Mais la prise de Jandairis pourrait marquer un tournant pour les forces d'Ankara et servir de tremplin pour un éventuel assaut sur la ville d'Afrine, bastion des YPG où se trouvent encore des milliers de civils.
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Les forces d'Ankara "se sont heurtées aux (défenses) kurdes lors des premières semaines, mais elles grignotent désormais les positions des YPG", souligne Aron Lund, expert au think-tank américain Century Foundation.
"Les opérations turques semblent progresser lentement, mais avec régularité (...) C'est peut-être plus lent et douloureux que ce que les Turcs espéraient, mais, pour le moment, la bataille ne progresse que dans une direction: la défaite des Kurdes", ajoute-t-il.
Après avoir pris Jandairis, désertée par les habitants, des groupes de combattants syriens passaient au peigne fin la ville dont les rues étaient jonchées de cadavres de combattants kurdes, selon un correspondant de l'AFP.
Les chaînes de télévision turques ont diffusé jeudi soir une vidéo montrant un drapeau turc hissé sur un immeuble de la ville.
- 'Verrou' -
Pour Elizabeth Teoman, analyste à l'Institute for the Study of War, la prise de Jandairis "est une étape majeure dans la progression de la Turquie vers la ville d'Afrine".
Jandairis est un "verrou" qui "commande la vallée de (la rivière) Afrine qui est un boulevard" menant à la ville du même nom située à une vingtaine de kilomètres au nord-est, souligne Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie.
C'est une "tête de pont" d'où les forces turques peuvent s'élancer vers Afrine, abonde l'expert militaire turc Abdullah Agar, qui relève toutefois que les YPG ont creusé des fossés antichar et miné l'axe principal entre les deux villes. "C'est une zone de mort", dit-il.
La prise de Jandairis est également "importante sur le plan psychologique", selon M. Agar, car elle illustre l'"incapacité" des YPG à stopper la progression des forces d'Ankara.
Face à cette situation, les YPG avaient annoncé mardi le redéploiement à Afrine de 1.700 combattants jusque-là basés plus à l'est, le Pentagone déplorant une "pause opérationnelle" contre l'EI.
Le chef de la diplomatie turque Mevlüt Cavusoglu a indiqué jeudi qu'il espérait que l'opération turque se terminerait d'ici le mois de mai, mais les observateurs restent prudents.
- Et maintenant ? -
En effet, la suite de l'offensive turque dépendra grandement des autres acteurs majeurs du conflit en Syrie, notamment les Etats-Unis, la Russie, l'Iran, ainsi que le régime de Bachar al-Assad. Les YPG ont pressé, sans succès jusqu'à présent, Moscou d'intervenir.
Et si la prise de Jandairis représente une victoire tactique importante, elle ne signifie pas la défaite des YPG dont la résistance risque d'être plus farouche à l'approche de la ville d'Afrine.
"Les combats pourraient s'avérer encore plus coûteux pour les forces turques dans les semaines à venir", prévient Mme Teoman.
Par ailleurs, alors que l'offensive a déjà causé la mort de près de 200 civils d'après l'OSDH --ce que dément Ankara--, un assaut frontal sur Afrine, si tel était l'objectif de la Turquie, pourrait avoir des conséquences désastreuses.
"La stratégie du YPG, aujourd'hui, semble être de bloquer les civils à Afrine pour s'en servir comme boucliers humains", indique M. Balanche. Or, pointe-t-il, "la Turquie, membre de l'Otan, ne peut pas se permettre des milliers de morts civiles".
Avec AFP