Le calme était revenu jeudi au lendemain de sa mort, après une journée d'extrême tension au cœur de la capitale N'Djamena où d'imposants effectifs de l'armée quadrillaient le centre-ville et encerclaient le siège du Parti socialiste sans frontières (PSF) de M. Dillo.
C'est dans l'après-midi, après avoir fait couper l'internet dans toute la ville face à l'afflux d'appels à venir "défendre" l'opposant, que les militaires ont attaqué le siège, au fusil d'assaut voire à l'arme lourde à en juger par les stigmates de l'affrontement sur la façade de l'immeuble et les tirs sporadiques entendus par les correspondants de l'AFP.
Retranché
Yaya Dillo est mort "là ou il s'était retranché, au siège de son parti. Il n'a pas voulu se rendre et a tiré sur les forces de l'ordre", a affirmé jeudi à l'AFP le ministre de la Communication Abderaman Koulamallah.
Les forces de l'ordre étaient venues arrêter un militant du PSF que le gouvernement venait d'accuser d'une "tentative d'assassinat" du président de la Cour suprême dix jours plus tôt. Le gouvernement a par la suite accusé Yaya Dillo d'avoir mené une attaque dans la nuit de mercredi à jeudi contre le siège des tout-puissants services de renseignement, l'ANSE, en représailles à cette arrestation. Cette attaque, menée par M. Dillo selon le pouvoir, s'était soldée par "plusieurs morts", selon le gouvernement qui ne précisait pas dans quel camp.
Quelques heures avant sa mort, M. Dillo avait farouchement nié ces accusations auprès de l'AFP et dénoncé "un mensonge" et une "mise en scène" destinée à écarter sa candidature à la présidentielle prévue le 6 mai prochain. La date avait été annoncée mardi. M. Dillo, 49 ans, dénonçait régulièrement un scrutin truqué d'avance et taillé sur mesure pour M. Déby dans un délai aussi court. Il exigeait une refonte de ce calendrier tout en affirmant qu'il sera candidat contre le jeune général.
Mahamat Déby, alors âgé 37 ans, avait été proclamé par l'armée chef de l'Etat le 20 avril 2021 à l'annonce de la mort de son père, le maréchal Idriss Déby Itno, tué en se rendant au front contre des rebelles. Le patriarche dirigeait alors d'une main de fer ce vaste pays sahélien depuis plus de 30 ans.
A peine proclamé président à la tête d'une junte de 15 généraux, Mahamat Déby promettait de rendre le pouvoir aux civils par des élections après une transition de 18 mois. Mais 18 mois plus tard, il la prolongeait de deux ans, et ne cachait plus ses intentions de se présenter à la future présidentielle. L'opposition dénonçait une "succession dynastique" des Déby.
"Mise en scène"
Dans un message audio transmis à l'AFP quelques heures avant sa mort, M. Dillo affirmait que "la junte" et le président de la Cour suprême avaient "mis en scène" "le saccage" du bureau du haut magistrat, dans lequel il n'avait même pas été blessé, afin de justifier une invalidation de sa candidature à la présidentielle.
L'assaut du siège du PSF est survenu trois ans, jour pour jour, après une attaque similaire par l'armée du QG de M. Dillo et de son parti, dans laquelle sa mère et l'un de ses fils avaient été tués.
Le pouvoir du président Déby-père alors voulait arrêter M. Dillo, pour avoir notamment "diffamé" la Première dame qu'il accusait de détournements massifs d'argent public. L'ancien rebelle finalement devenu ministre de son oncle Idriss Déby dans les années 2000, avait réussi à s'échapper et à fuir le pays. Quelques jours plus tard, la Cour suprême invalidait sa candidature à la présidentielle d'avril 2021 contre le maréchal.
M. Dillo était revenu sous la présidence de son cousin Mahamat Déby en assurant "pardonner" les décès de sa mère et son fils. Mais il est vite devenu l'un de ses plus farouches opposants et celui que le clan Déby, dont il fait partie, redoutait le plus, selon les politologues et l'opposition : parce qu'issu de la famille et de son ethnie des Zaghawa qui, bien que très minoritaire au Tchad, monopolise depuis plus de 33 ans les plus hautes positions dans l'appareil militaire et de l'Etat.
Depuis que Mahamat a pris le pouvoir, le clan Déby et l'ethnie Zaghawa se fissurent chaque jour un peu plus, et même ouvertement, estiment experts de la région et diplomates qui y voient un risque de coup d'Etat. M. Dillo pouvait entraîner derrière lui une frange importante de caciques zaghawas hostiles à Mahamat Déby, surtout parmi les officiers supérieurs, selon ces analystes.
Dernière défection en date : le plus jeune frère du défunt maréchal Déby, l'oncle de Mahamat donc, le général Saleh Déby Itno, a ostensiblement rallié le PSF de Yaya Dillo récemment. "Cela n'a fait qu'augmenter la tension" au sein du clan, du pouvoir et de l'armée, analysait mercredi pour l'AFP Evariste Ngarlem Toldé, politologue et recteur d'une université de N'Djamena.
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