Quand il a posé les pieds au Tchad pour la première fois depuis 13 ans, Younous Wakaï Djimmy a ressenti "une émotion particulière". L'ancien rebelle, qui a connu le maquis puis l'exil après avoir combattu l'ancien président Idriss Déby Itno, a décidé de rentrer à l'appel du nouveau chef de l’État.
Ancien dirigeant de l'Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD), Wakaï Djimmy avait rejoint ce groupe rebelle - un des principaux du pays - en 2005, "alors que le Tchad était une dictature", soutient-il à l'AFP. Il avait pris les armes contre Idriss Déby, arrivé au pouvoir en 1990 et qui a dirigé le pays d'une main de fer jusqu'à sa mort en avril 2021, tué lors d'une offensive d'autres rebelles.
Le jour de cette annonce, son fils, Mahamat Idriss Déby, général de 37 ans, prend la tête de ce vaste pays d'Afrique centrale parmi les plus pauvres au monde. Il tend rapidement la main aux rebelles, en les invitant à participer à un dialogue avec les autorités.
Si certains de ses anciens compagnons d'armes restent prudents quand aux intentions des nouvelles autorités, Wakaï Djimmy se décide vite à prendre "de nombreux contacts avec le pouvoir". "Je veux donner le bénéfice du doute au nouveau président", affirme-t-il. Aujourd'hui, cet ingénieur agronome de formation, est à la recherche d'un emploi. "Mais je ne mets pas mon passé de rebelle sur mon CV, cela pourrait décourager les recruteurs", sourit-il.
"Pas un kopeck"
Le retour de l'ancien dirigeant rebelle à N'Djamena, la capitale, le 28 août 2021, a été critiqué par certains de ses anciens compagnons d'armes, qui l'ont accusé de s'être fait acheter. "Je n'ai pas touché un kopeck", répond-il aux accusations, implorant ses anciens camarades de comprendre qu'"il est temps d'arrêter cette guerre pour que le Tchad se développe".
"Je gagnais très bien ma vie en tant que pasteur en Suisse", assure de son côté Kingabé Ogouzeïmi de Tapol, après 30 années en exil. Il y a quelques semaines, il était l'influent porte-parole du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) qui a lancé l'offensive fatale au maréchal Déby.
Il avait fui son pays en 1992, deux ans après le coup d’État ayant porté Idriss Déby au pouvoir, et obtenu l’asile en Suisse, tout en se tenant à distance des responsabilités dans des groupes rebelles successifs.
"On ne se réjouit jamais de la mort d’un homme", affirme à l'AFP, à propos du maréchal Déby, l'ex-rebelle de 62 ans, hébergé dans un luxueux hôtel de N'Djamena où il est rentré fin janvier sous l'objectif des caméras de la télévision d’État. La photo de sa poignée de main, alors, avec Mahamat Déby illustre désormais son profil de messagerie.
Le FACT l’a exclu pour "haute trahison et intelligence avec l’ennemi". "Il est temps d'utiliser d'autres leviers que la guerre", réplique le repenti pour sa défense. "Je suis rentré aussi parce que je n'ai toujours pas pu aller sur la tombe de ma mère, qui est morte quand j'étais en exil", poursuit-il, visiblement ému.
"Retour au bercail"
Cette main tendue des autorités sert, "si ce n'est à décapiter, au moins à diviser les groupes armés", qui ont multiplié les offensives sous l'ancien président, estime Kelma Manatouma, chercheur tchadien en sciences politiques à l'université Paris-Nanterre.
"Pas du tout", rétorque Abderaman Koulamallah, porte-parole du gouvernement, "nous voulons simplement leur retour au bercail pour la paix". Selon les autorités, "plusieurs centaines d'anciens rebelles" combattants ont déposé les armes depuis 10 mois et sont rentrés à N'Djamena, souvent aussi devant photographes et cameramen.
Mahamat Doki Warou, ancien conseiller politique de l'Union des forces pour la résistance (UFR), a été reçu par le nouveau chef de l’État au palais présidentiel, peu de temps après son retour, en août 2021. Il a été nommé par Mahamat Déby au Parlement de transition désigné par la junte en remplacement de celui qu'elle avait dissout.
"J'avais de profondes divergences avec Idriss Déby, mais je n'ai rien contre le fils et je veux donner une chance au Tchad de sortir de ces années de guerre", assure-t-il.
Le nouvel homme fort du Tchad a invité à Doha 23 mouvements, dont des membres de l'UFR, de l'UFDD et du FACT, aux appartenances ethniques et aux intérêts souvent différents, en vue de les amener à participer au "Dialogue national inclusif" censé débuter le 10 mai à N'Djamena avec les oppositions politiques et armées, en vue d'organiser des élections "libres et démocratiques". Prévu pour débuter le 27 février, le "pré-dialogue" au Qatar a été finalement retardé de "quelques jours" et doit commencer le 13 mars.