Le 11 août, une centaine de véhicules armés du groupe Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR) a pris d'assaut une localité frontalière de la Libye, Kouri Bougoudi.
Aucun bilan n'a officiellement été donné. Dans des vidéos postées sur Internet, le groupe armé CCMSR a affirmé avoir capturé la ville et fait des prisonniers.
Les autorités tchadiennes ont réagi le 16 août, en lançant une opération militaire dans la zone.
Celle-ci, le Borkou-Ennedi-Tibesti (BET, du nom des trois régions administratives de l'extrême nord du Tchad) est une immensité désertique aux montagnes présumées riches en métaux précieux, habitée par des autochtones de l'ethnie Toubou.
Fin août, le G5 Sahel, force militaire régionale contre le jihadisme, a officialisé la relocalisation du poste de commandement de sa zone Est de N'Djamena vers Wour, dans le Tibesti, pour "cloisonner les frontières".
Depuis 2013, les rares habitants du BET ont été rejoints par des milliers d'orpailleurs venus du Soudan et du Niger voisins ainsi que d'autres régions du Tchad, créant des tensions parfois meurtrières.
Au début de l'opération militaire mi-août, N'Djamena a indiqué vouloir expulser ces derniers et "nettoyer" la zone.
Deux semaines plus tard, plusieurs milliers d'orpailleurs ont trouvé refuge dans les villes de Zouarke, Zouar et Faya-Largeau, où il y a "un besoin urgent de leur venir en aide", du fait d'un manque de nourriture et d'abris dans une zone déjà démunie, selon l'Office international des migrations (OIM).
De plus, l'opération a fait des dégats collatéraux: lors de bombardements, des chameaux ont été tués et des civils blessés. Un convoi de mariage a notamment été bombardé entre Miski et Yebibou.
"A cause de bombardements aveugles, la population est en train de prendre fait et cause pour la rébellion", affirme un élu parlementaire de la région sous couvert d'anonymat.
Dans le BET, les populations locales - déjà peu prises en compte par l'administration coloniale française en son temps - ont toujours entretenu des relations conflictuelles avec la capitale tchadienne N'Djamena, située à plus de 1.000 km.
Depuis l'indépendance du Tchad en 1960, la région a été plus longtemps sous contrôle de groupes armés rebelles que de l'administration centrale.
En effet, à vingt années d'administration peu regardante de N'Djamena après l'indépendance ont succédé une trentaine d'années de domination rebelle, achevée en 2011 par un accord de paix entre le groupe armé Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT, toubou) et N'Djamena.
Aujourd'hui, l'attaque du CCMSR peut difficilement être apparentée à une résurgence du conflit toubou, selon Jérôme Tubiana, chercheur spécialiste du Tchad.
"L'attaque a surtout une portée symbolique, puisque c'est le premier véritable raid rebelle en territoire tchadien depuis 2009", estime le chercheur, qui souligne que "rien n'indique que les Toubou soient complices de l'attaque".
Selon lui, la réaction musclée du gouvernement pourrait néanmoins jouer en la défaveur de N'Djamena et "pousser les Toubou à rejoindre la rébellion".
"Nous sommes en train de créer une situation qu'on ne pourra plus maîtriser avec nos bombardements mal ciblés", peste un officier de l'armée, à N'Djamena.
Mais, souligne M. Tubiana, "même si la réaction gouvernementale pourrait pousser les Toubou à soutenir la rébellion, rien ne dit que ce soit le CCMSR qui en bénéficie".
Fin 2017, le groupe armé a subi un important revers avec l'arrestation au Niger de trois de ses principaux cadres, dont son président. Les trois rebelles ont ensuite été extradés vers N'Djamena.
"Il n'y a pas de leadership au CCMSR, c'est un regroupement de groupuscules composé à 80% d'anciens membres de l'UFR", affirme un cadre du groupe armé Union des forces de la résistance (UFR, qui avait fédéré la rébellion tchadienne lors du coup d'Etat manqué de 2008 à N'Djamena).
Après l'attaque du 11 août, le CCMSR a proposé un échange de prisonniers à N'Djamena: les capturés de Kouri Bougoudi contre les cadres du groupe. Ca "a été rejeté par le gouvernement", note M. Tubiana.
Conséquence de ce manque de structure du groupe armé, plusieurs autres rebelles interrogés par l'AFP restent sceptiques sur la capacité du CCMSR à se faire porte-drapeau d'une rebellion éclatée et morcelée depuis de nombreuses années.
Avec AFP