Un de ces jihadistes qui dictaient leur loi dans le nord du Mali en 2012, le Touareg malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi, est actuellement jugé par la Cour pénale internationale (CPI), dont le verdict est attendu mardi.
Poursuivi pour la destruction de neuf mausolées et d'une porte de la mosquée de Sidi Yahia, monuments inscrits au Patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco, Ahmad Al Faqi Al Mahdi a plaidé coupable et demandé pardon.
"Je le connais bien", raconte à l'AFP Youba Maïga, un bijoutier, témoin du saccage de la porte de Sidi Yahia, qui se souvient l'avoir souvent vu passer dans cette rue, lorsqu'il dirigeait la "hisbah", la brigade islamique des moeurs instituée par les jihadistes.
"On a même parlé une fois: ils ont dit qu'ils étaient venus uniquement pour la charia, pour que la charia soit appliquée. Moi j'ai dit: +Avant de le faire, il faut demander à tout le monde+", ajoute-t-il.
"S'il a demandé pardon, on va l'accepter car nous sommes croyants, on va lui pardonner, ça n'est pas un problème", assure Youba Maïga. "On veut seulement que la paix vienne et que justice soit faite, c'est tout".
Le président du conseil communal de la jeunesse de Tombouctou, Salah Maïga, se rappelle également avoir vu quotidiennement Ahmad Al Faqi Al Mahdi, sans jamais avoir de lien avec lui.
"On était là avec des barbares, des gens sans loi, sans croyance, qui se réclament de l'islam", accuse-t-il, affirmant attendre de la CPI "un procès juste, de quelqu'un qui a détruit quelque chose qui appartient à l'humanité toute entière".
"Le pardon, quand on le demande, pour tout musulman c'est normal de l'accepter, quel que soit le mal qu'il ait eu à te faire. On est prêts à accepter son pardon et on est prêts à lui pardonner", assure-t-il lui aussi.
'Maillon faible'
El-Boukhari Ben Essayouti, expert culturel et chef de la Mission culturelle de Tombouctou qui a piloté le projet de réhabilitation des sites conduit par l'Unesco (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture), insiste, au-delà de l'importance de la peine de prison qui sera prononcée, sur la "dimension pédagogique, didactique" du procès.
"Il faut que le procès serve à quelque chose, que cela puisse signifier à tous qu'au même titre qu'on ne peut pas tuer impunément un être humain, on ne peut pas détruire impunément un sanctuaire du Patrimoine mondial", explique-t-il.
Mais à travers le pays, beaucoup de Maliens craignent que ce procès ne reste un cas aussi symbolique qu'isolé et que l'exigence de justice ne soit sacrifiée à une réconciliation nationale encore fuyante.
"Nous pensons qu'il faut faire un exemple, même si cette personne qui est jugée peut représenter aux yeux de certains un unique et faible maillon de toute une chaîne de prédateurs, de criminels", reconnaît Ismaïla Samba Traoré, écrivain et éditeur de Bamako, la capitale, membre d'un collectif d'auteurs qui avaient dénoncé en 2012 la destruction des mausolées comme un crime de guerre.
"Il y a des criminels qui courent toujours, qui ont les mains pleines de sang. Il y a eu énormément de violences pendant cette crise. Et donc, quelque part, énormément de victimes sont en train d'attendre un résultat qui fasse justice", poursuit-il.
Signe des tensions persistantes dans le pays, un écrivain de Tombouctou qualifiant Al Faqi Al Mahdi de "menu fretin" préfère garder l'anonymat par crainte de représailles.
"C'est bon qu'il y ait la justice. Mais il ne faut pas que cela crée des injustices: on tape les plus faibles, on laisse les plus forts", déplore-t-il, avant d'ajouter: "les vrais responsables courent toujours".
Avec AFP