La rumeur circulait depuis un petit moment, mais quand le score supérieur à 70% s'est affiché sur les écrans des télévisions, le brouhaha de la fête s'est emparé de la ville. Des Tunisiens ont convergé par milliers sur la célèbre avenue Bourguiba, laissant éclater leur joie à coups de klaxons, hymne national et youyous.
"Vive la Tunisie", s'époumonait un badaud. "Le peuple veut Kais Saied", chantait un groupe de jeunes munis de fumigènes et de tambours, huant "le système".
Sur l'avenue bordée de ficus soigneusement taillés, illuminée de guirlandes et de lampadaires rétros, les Tunisiens de tous âges agitaient inlassablement les drapeaux, rivalisant de chants et de selfies.
"C'est la première fois qu'on sent que nous avons des élections transparentes", se félicite Warda, une quadragénaire vêtue d'une élégante robe noire. "C'est un président propre", se réjouit son ami, Bilal.
Sur les marches du Théâtre municipal, des jeunes assis en rangs serrés chantent et jouent des percussions sous la façade Art-déco de ce lieu symbolique des rassemblements populaires.
"La Tunisie a changé de trajectoire. C'est aujourd'hui une démocratie où le peuple choisit seul son président", s'enthousiasme Abdelkrim Natchaoui, un technicien de 27 ans.
- "Le peuple veut" -
Déjouant toutes les prédictions en s'imposant au premier tour, Kais Saied a finalement remporté entre 72 et 76% des voix, selon deux sondages. Si les résultats attendus lundi confirment ces estimations, il devrait être le deuxième président élu au suffrage universel en Tunisie.
En fin d'après midi, des proches du futur président s'étaient réunis dans le salon d'un hôtel du centre-ville de Tunis pour attendre les résultats, la chaîne nationale de télévision en fond d'écran. Parmi eux son frère Naoufel, qui a activement participé à sa campagne, ainsi que des soeurs et son épouse, assises discrètement au dernier rang.
Dès la publication du premier sondage vers 19H00 locales (18H00 GMT), ses partisans se félicitaient discrètement du grand écart séparant les candidats, mais évitaient toute effusion devant la presse, avant la déclaration officielle de l'universitaire.
Un second sondage sur la télévision nationale, annonçant un écart encore plus grand, a déclenché explosion de joie dans le salon de l'hôtel où des partisans ont fait irruption, drapés aux couleurs de la Tunisie. Ils ont entonné l'hymne national et le slogan de la révolution "le peuple veut", dont Kais Saied a fait sa devise.
Après avoir gravement remercié les jeunes, l'universitaire est sorti sur l'avenue pour faire une courte déclaration, l'air impassible en dépit de l'émotion ambiante.
Les partisans s'y pressaient jusqu'en fin de soirée avec une présence policière discrète. Pour l'avocate Lamia Abidi, "c'est la victoire des principes, de la compétence: je suis fière du peuple tunisien, je suis fière d'être Tunisienne!"
-"Fruits de la révolution"-
"Quelle leçon et quelle bonne gifle pour ceux qui ont sous-estimé la volonté de ce grand peuple", ajoute-t-elle au milieu de la foule en liesse.
"C'est un jour historique: la Tunisie récolte les fruits de la révolution", lance Boussairi Abidi, un mécanicien de 39 ans: "Kais Saied va en finir avec la corruption, il sera un président juste".
Perchée sur le toit d'un bureau de tabac, en short et claquettes, une bande de jeunes badauds fête la victoire en prenant de la hauteur.
Hamza Brahmi, 26 ans, est venu la banlieue pour célébrer la victoire du constitutionnaliste. "Si Nabil Karoui était resté en prison, il aurait eu plus de chance", croit-il savoir. Cet homme d'affaires rival de Kais Saied n'a mené campagne que deux jours, durant lesquels il n'a pas brillé, après avoir été emprisonné fin août dans une affaire de fraude fiscale et libéré in extremis mercredi.
Quant à Kais Saied, il a "osé ce que personne en Tunisie n'a osé jusqu'à présent. Le fait de parler de la Palestine ce soir et d'en faire une priorité en est un exemple".
Avec AFP