Houcine Akrout, agriculteur dans l'oasis de Chenini, près de Gabès, est à la tâche très tôt en ce matin ensoleillé: c'est à son tour d'arroser ses terres.
Le manque d'eau a en effet obligé le ministère à planifier l'irrigation.
"Je reste 15 à 20 jours à attendre mon tour, c'est très long pour la plante de henné qui demande beaucoup d'eau", déplore Houcine, penché pour ameublir la terre avec une petite bêche.
"Gabès est en train de mourir à cause du manque d'eau. Notre ville manque de responsables qui la défendent et cherchent des solutions", se plaint-il.
En plein été, l'attente pour pouvoir irriguer peut durer 40 jours, indique Amel Ghiloufi, une responsable du service des plantes au bureau régional du ministère de l'Agriculture.
L'irrigation est organisée par des groupements de développement agricole (GDA) qui vendent l'eau 2,8 dinars (0,93 euro) par heure, indique à l'AFP Ridha Rejeb, un des gestionnaires d'eau.
Houcine ne cultive plus qu'une petite parcelle de henné: sur ses dix hectares, qui étaient consacrés de père en fils à cette plante aux propriétés médicinales et cosmétiques, il cultive désormais principalement des grenadiers.
"Le henné ne me fait plus gagner d'argent, (...) et moi j'ai besoin de vivre et de faire vivre ma famille", confie l'agriculteur.
Contrebande et pollution
En 2016-2017, 645 tonnes de cette plante stratégique dans l'économie locale ont été récoltées --sur 430 hectares dans la région--, en net recul par rapport à la saison précédente, qui avait enregistré une production de 810 tonnes sur 540 hectares, indique Mme Ghiloufi.
L'abandon de terres dans l'oasis côtière en raison de la pollution par un complexe chimique a accéléré la baisse de la production de henné.
En outre, cette culture souffre de l'absence de main d'œuvre et de la montée du commerce parallèle qui a entraîné l'entrée sur le marché tunisien de henné "express", importé notamment du Yémen, du Soudan et de l'Inde, explique Mme Ghiloufi.
Ce produit contient des substances chimiques limitant la pénétration du henné dans la peau et permettant de s'en débarrasser en se lavant les mains.
Depuis des siècles, les feuilles de henné sont séchées et réduites en une très fine poudre, qui, mélangée avec de l'eau, est utilisée pour colorer les cheveux ou orner la paume des mains et des pieds avec des motifs simples qui dureront plus d'un mois.
Lors des mariages, sa pâte prête à l'emploi est distribuée dans de petits coffrets décorés aux invitées de "l'houtya", la soirée de la mariée.
Durant les fêtes familiales, le henné a longtemps été le principal ornement cosmétique, rehaussé par du "harkous", une encre à base de henné, clou de girofle et noix de galle.
Le henné était également utilisé pour soulager les migraines, purifier la peau ou encore cicatriser les blessures: des remèdes de grands-mères, inconnus par les nouvelles générations.
"Démodé"
A Jara, le principal souk touristique situé en plein centre de Gabès, d'énormes étals débordent de henné ou de "bkhour", l'encens local. Mais les rues restent vides.
Si le harkous est toujours prisé des touristes qui se font faire des "tatouages au henné", les Tunisiennes utilisent de moins en moins les cosmétiques traditionnels.
"Les mèches, la teinture et la manucure ont remplacé le henné aujourd'hui", déplore Ismaïl, un commerçant de 49 ans. "Les Tunisiennes ont bien changé leurs habitudes et tourné le dos à leurs traditions. Le henné est démodé pour elles maintenant".
"Le henné se vendait toute l'année. Notre souk était toujours animé par des clients venus de toute la Tunisie!", renchérit Hssen Mrabet, 85 ans, agriculteur et vendeur de henné depuis cinq décennies. "Maintenant, sa vente se limite à la saison des mariages, en juillet et août".
Pour Amel Ghiloufi, "la seule solution pour la relance de ce secteur, qui pourrait même franchir les frontières", est de faire connaître "l'utilisation médicinale du henné et ses bienfaits naturels".
A Tunis, des sachets de henné "bio" et des shampoings à base de cette plante commencent à être vendus dans des magasins de produits diététiques.
L'exportation du henné est limitée à des initiatives personnelles sans appui institutionnel, et reste "très minime par rapport à la bonne qualité du henné de Gabès", souligne Mme Ghiloufi.
"Le henné de Gabès, c'est l'or rouge de la Tunisie, dévalorisé par l'Etat", regrette Mohamed Mrabet, un agriculteur.
Avec AFP