M. Saied, 66 ans, a déclaré aux journalistes à Tunis que sa candidature s'inscrivait dans le cadre d'une "guerre de libération et d'autodétermination" visant à "établir une nouvelle république". Le président accapare tous les pouvoirs depuis son coup de force de juillet 2021 lorsqu'il avait, après plusieurs mois de blocage politique, limogé le Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre.
Le parcours vers la présidentielle s'annonce semé d'embûches, selon les experts, pour les rivaux potentiels du président Saied, élu démocratiquement en 2019.
Les critères d'acceptation sont draconiens: il faut le parrainage de dix parlementaires ou 40 présidents de collectivités locales – largement acquis à M. Saied – ou de 10.000 électeurs à raison d'au moins 500 signatures par circonscription, un nombre difficile à recueillir, d'après les experts.
Une critique virulente condamnée
Plusieurs candidats potentiels sont soit en prison, soit poursuivis. Mais M. Saied a nié que son gouvernement réprimait les voix critiques, affirmant que "la loi s'applique à tout le monde de manière égale" et qu'il n'y avait pas de restrictions.
Sa candidature a été présentée deux jours après celle, via ses avocats, d'Abir Moussi, très critique du président et emprisonnée depuis octobre. Elle a été condamnée lundi soir à deux ans d'incarcération en vertu du "Décret 54", instauré en 2022 par le président Saied pour lutter contre les "fausses nouvelles".
La Haute autorité indépendante des élections (ISIE) du pays avait porté plainte en février contre l'opposante après que celle-ci eut critiqué publiquement l'institution au moment où la Tunisie entrait dans la période présidentielle. Mme Moussi, une ancienne députée de 49 ans, avait été arrêtée le 3 octobre devant le palais présidentiel de Carthage, alors que, selon son parti, elle était venue déposer des recours contre des décrets de M. Saied.
Si sa peine est confirmée en appel ou au terme d'autres procédures, elle sera officiellement exclue de la course, les candidats étant tenus d'avoir un casier judiciaire vierge. Elle fait l'objet d'autres accusations graves dont celle "d'attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement", soupçonnée d'avoir voulu rétablir un régime similaire à celui de Ben Ali, renversé en 2011 par la première révolte du Printemps arabe.
"Répression gouvernementale"
Trois candidats potentiels ont par ailleurs affirmé lundi soir que les autorités avaient rejeté leurs demandes de remise de leurs casiers judiciaires, alors qu'il s'agit d'un document requis pour toute personne souhaitant déposer sa candidature avant le délai fixé au 6 août. L'ancien ministre Mondher Zenaïdi a déclaré dans une vidéo publiée sur Facebook que "l'autorité travaillant sous les instructions de Saied a refusé de lui donner le casier judiciaire".
L'amiral à la retraite Kamel Akrout a également dit sur Facebook que les autorités "ne pouvaient lui délivrer (son) casier judiciaire" parce que la "profession" sur sa carte d'identité était "périmée". "L'autorité en place a décidé d'exclure toute voix opposée" et "avance vers un système non démocratique qui rejette le pluralisme et l'alternance pacifique du pouvoir", a encore dit M. Akrout.
Le rappeur devenu homme d'affaires Karim Gharbi, mieux connu sous son nom de scène K2Rhym, a lui été condamné à huit mois de prison lundi soir. Il avait auparavant posté une vidéo sur Facebook dans laquelle il montre une lettre qui n'explique pas les raisons du rejet de sa demande d'obtention du casier judiciaire.
La semaine dernière, quatre femmes travaillant pour le rappeur milliardaire ont été condamnées à des peines de prison de deux à quatre ans pour achat de parrainages, et trois collaborateurs de Nizar Chaari, propriétaire d'un site d'information, ont été placés en détention pour les mêmes soupçons, catégoriquement démentis par le candidat.
La semaine dernière, une trentaine d'ONG dont la Ligue tunisienne des droits de l'Homme ont fustigé des "arrestations arbitraires" de candidats, une autorité électorale ayant "perdu son indépendance" et "une monopolisation de l'espace public" avec "l'utilisation des ressources de l'Etat pour favoriser un candidat au détriment des autres".
Fin juillet, la secrétaire générale d'Amnesty International, Agnès Callamard, s'est dite "alarmée du recul extrême des droits" dans le berceau du Printemps arabe. En ce début de campagne, elle a "observé une répression gouvernementale alimentant la peur au lieu des débats animés d'une scène politique pluraliste", dénonçant les "détentions arbitraires" d'opposants, les "restrictions et poursuites" contre certains candidats et l'emprisonnement de journalistes.
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