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Turquie : accusé d'espionnage, le journaliste Can Dündar promet de faire "le procès de l'Etat"


Les journalistes turcs Can Dundar et Erdem Gul
Les journalistes turcs Can Dundar et Erdem Gul

Un célèbre journaliste turc d'opposition, Can Dündar, qui encourt la prison à vie pour "espionnage", a promis mercredi de "faire le procès des crimes de l'Etat" devant le tribunal qui doit le juger, sur fond de bras de fer entre le régime et l'institution judiciaire.

Farouches adversaires du régime islamo-conservateur turc, M. Dündar, rédacteur en chef du quotidien d'opposition Cumhuriyet, et Erdem Gül, son chef de bureau à Ankara, ont été remis en liberté vendredi au terme de 92 jours de détention provisoire, sur la base d'un arrêt de la Cour constitutionnelle.

Les deux hommes, qui ont reçu de nombreux soutiens en Turquie et dans le monde, sont accusés d'espionnage, de divulgation de secrets d'Etat et de tentative de coup d'Etat pour avoir diffusé un article et une vidéo faisant état de livraisons d'armes par les services secrets turcs à des rebelles islamistes en Syrie.

"Dès la première d'audience de notre procès le 25 mars (à Istanbul), nous allons exposer en pleine lumière les crimes de l'Etat. Nous n'allons pas nous défendre, nous allons faire le procès des crimes de l'Etat", a assuré Can Dündar au cours d'une conférence de presse à Istanbul.

Devant ses confrères, le journaliste a évoqué sa détention par une boutade.

"Si vous êtes journaliste en Turquie, aller en prison fait partie de votre plan de carrière!", a-t-il ironisé. "Mais nous sommes des journalistes, pas des fonctionnaires au service de l'Etat. Notre devoir, c'est d'informer le public, y compris des actes illégaux du gouvernement", a-t-il ajouté, dénonçant le "climat de peur" imposé par le président Recep Tayyip Erdogan à la presse.

M. Erdogan, qui a personnellement porté plainte contre MM. Dündar et Gül, a publiquement dénoncé la Cour constitutionnelle, qui a jugé la semaine dernière que l'incarcération des deux journalistes violait leurs droits, affirmant n'avoir "pas de respect" pour sa décision.

"La décision de la Cour constitue une ingérence dans une affaire en cours. Personne n'a le droit d'influencer un procès avant son terme", a déclaré mercredi le Premier ministre Ahmet Davutoglu, lors d'un point de presse.

'Guerre civile en Turquie' -

La Cour constitutionnelle est l'une des rares institutions turques que ne contrôle pas M. Erdogan, la plupart de ses membres ayant été nommés avant son accession à la présidence en 2014. A plusieurs reprises, elle a désavoué son gouvernement en annulant les dispositions de lois controversées.

Son président, Zühtü Arslan, a rappelé mardi que ses décisions "s'imposent à tous et à toutes les institutions" (...) "aussi bien aux dirigeants qu'aux citoyens".

Mais il a aussitôt été publiquement contredit par le ministre de la Justice Bekir Bozdag. "Cette décision ne s'impose qu'aux intéressés", a plaidé le ministre, "la décision de la Cour constitutionnelle (...) viole la Constitution et le droit".

La polémique a suscité un tollé dans les rangs de l'opposition, qui accuse depuis des années M. Erdogan de dérive autoritaire.

Par son intervention, le pouvoir "a transformé une question intérieure en affaire internationale", a relevé mercredi Can Dündar.

"Les services de renseignements turcs ont été pris en flagrant délit de transport d'armes, une activité illégale (...) l'engagement de la Turquie dans la guerre civile syrienne a déclenché une autre guerre civile, cette fois-ci en Turquie", a souligné le journaliste, en référence à la reprise depuis l'été des combats entre les forces turques et les rebelles kurdes dans le sud-est anatolien.

Can Dündar a aussi critiqué les "sales petites combines" entre l'Union européenne (UE) et la Turquie autour de la question des migrants. En vertu d'un accord conclu en novembre, Ankara s'est engagée à endiguer les départs de migrants vers l'Europe en échange d'une aide financière et de concessions politiques.

"Le marchandage proposé, c'est tu gardes sous contrôle les réfugiés chez toi et en échange je tolère ta gouvernance autoritaire. Mais ce n'est pas l'Europe que nous voulons, cela", a-t-il souligné.

Au pouvoir depuis 2002, le gouvernement islamo-conservateur turc est régulièrement montré du doigt pour ses pressions sur les médias. La Turquie pointe à la 149e place sur 180 au classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF).

Avec AFP

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