La Turquie s'apprête jeudi à clore définitivement le dossier Khashoggi en le renvoyant à l'Arabie saoudite, plus de trois ans après l'assassinat tragique du journaliste saoudien à Istanbul.
L'ultime audience du procès par contumace de vingt-six Saoudiens accusés de ce crime particulièrement odieux, dans l'enceinte du consulat d'Arabie Saoudite, doit s'ouvrir en début de matinée devant le tribunal d'Istanbul supposé les juger depuis juillet 2020.
Le suspense est très limité: le ministre turc de la Justice Bekir Bozdag a déjà annoncé la semaine dernière qu'il donnerait un avis positif à la requête du procureur qui souhaite "clore et transférer le dossier à l'Arabie saoudite".
Pour la Turquie, qui cherche à renouer avec Ryad dont elle a besoin pour soutenir son économie en difficulté, il est urgent de se débarrasser de cette affaire qui pollue leurs relations.
Les organisations de défense des droits dénoncent un enterrement de première classe à la demande des autorités saoudiennes, le dossier Khashoggi constituant l'ultime obstacle au rapprochement entre les deux puissances régionales sunnites.
Pour Amnesty International, un transfert du dossier en Arabie saoudite "mettra fin à toute chance de justice et renforcera la conviction des Saoudiens qu'ils peuvent s'en tirer même après un meurtre".
"La Turquie enverra également un signal effrayant concernant le respect qu'elle accorde à la liberté de la presse", prévient encore le représentant de Reporters sans frontières à Istanbul Erol Onderoglu, dans une tribune au quotidien américain Washington Post --auquel contribuait Khashoggi.
Le 2 octobre 2018, le journaliste saoudien de 59 ans, éditorialiste critique au quotidien américain, a été assassiné et son corps démembré à l'intérieur du consulat d'Arabie saoudite à Istanbul où il venait demander un document nécessaire à son mariage, selon la Turquie.
Le procureur d'Istanbul a défendu sa position en faisant valoir que "l'affaire traîne parce que les ordres de la cour ne peuvent être exécutés, les accusés étant des ressortissants étrangers".
- "Assassinat barbare" -
La fiancée turque de Khashoggi, Hatice Cengiz, a affirmé que le procureur turc satisfaisait ainsi les "demandes saoudiennes": "Nous savons très bien que les autorités ne feront rien. Comment peut-on imaginer que les assassins vont enquêter sur eux-mêmes?", a-t-elle relevé dans un communiqué.
Dans un entretien récent à l'AFP, Mme Cengiz exhortait son pays à "insister pour que justice soit faite" et à ne pas renoncer au profit d'un rapprochement avec Ryad.
Le jour du meurtre, Mme Cengiz attendait la victime dans la rue, mais son fiancé n'est jamais réapparu et ses restes n'ont jamais été retrouvés.
Le président Recep Tayyip Erdogan avait alors promis de "tout faire" pour élucider ce meurtre "politique" et "prémédité", qu'il qualifiait "d'assassinat barbare".
Mais Ankara, en proie à une crise économique liée à l'effondrement de sa monnaie et à une forte inflation de plus de 61% sur les douze derniers mois, cherche le rapprochement avec la monarchie saoudienne.
Le chef de l'Etat, qui multiplie depuis plusieurs mois les initiatives de réconciliation avec les puissances régionales --Emirats arabes unis, Egypte et Israël entre autres--, avait annoncé début janvier une visite imminente en Arabie Saoudite. Il semble toutefois n'avoir pas encore reçu d'invitation.
Un rapport des services de renseignement américains accuse le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane d'avoir "validé" l'assassinat, exécuté par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite.
Après avoir nié le meurtre, Ryad avait fini par dire qu'il avait été commis par des agents saoudiens ayant agi seuls.
A l'issue d'un procès opaque en Arabie saoudite, cinq Saoudiens ont été condamnés à mort et trois à des peines de prison --les peines capitales ont depuis été commuées.