Le 2 novembre 2022, le gouvernement fédéral éthiopien et les autorités du Tigré, entrées en rébellion deux ans auparavant, mettaient fin à Pretoria à l'un des conflits l'un des plus meurtriers de la planète - plusieurs centaines de milliers de morts et d'innombrables atrocités.
Tout en saluant "le courageux engagement pour la paix dont ont fait preuve" les signataires, le chef de la diplomatie de l'UE Josep Borrell partage jeudi ses "inquiétudes quant aux divers conflits en cours en Ethiopie, à l'état d'urgence et aux divers types de violations des droits humains dont il est en permanence fait état".
Marraine de l'accord, l'Union africaine (UA), dont le siège est à Addis Abeba, a "félicité les Ethiopiens d'avoir choisi la paix, le dialogue national et la réconciliation", a indiqué le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki. Dans un communiqué, Moussa Faki a "salué les jalons notables enregistrés dans la mise en oeuvre de l'accord", sans un mot pour les conflits qui ravagent d'autres régions d'Ethiopie.
"Les gouvernements soutenant la fragile trêve en Ethiopie ne peuvent regarder ailleurs alors que les crises s'intensifient" dans le pays et que "les civils continuent d'être les principales victimes d'atrocités", rappelle pourtant jeudi la directrice Afrique de HRW, Laetitia Bader.
"Tactiques répressives"
A côté "d'énormes progrès" au Tigré - fin des combats, retour de l'aide humanitaire, rétablissement progressif des services de base -, "les combats se sont intensifiés dans d'autres régions du pays, où les anciens responsables d'abus répètent les mêmes sévices en toute impunité", poursuit Mme Bader.
Début novembre 2020, le Premier ministre Abiy Ahmed - lauréat un an auparavant du prix Nobel de la paix pour son rapprochement avec l'Erythrée voisine - envoyait l'armée fédérale mater les autorités du Tigré, entrées en rébellion.
Des forces des régions de l'Amhara et de l'Afar voisines et l'armée de l'Erythrée ont épaulé l'armée éthiopienne. Mais aucun de ces acteurs n'a pris part aux négociations ou n'a signé l'accord de Pretoria. Celui-ci a rompu l'alliance entre le gouvernement fédéral et les forces amhara, dégénérant en avril en conflit ouvert en Amhara. L'état d'urgence y a été décrété en août et le conflit s'accompagne "de centaines de victimes civiles, d'arrestations de masse d'Amhara et de dégâts aux infrastructures civiles", note HRW.
Les autorités éthiopiennes recourent aux mêmes "tactiques répressives" qu'au Tigré, poursuit l'ONG de défense des droits humains, citant les restrictions d'accès des journalistes ou la suspension d'internet. Au Tigré, les troupes de l'Erythrée - encore présentes dans des zones frontalières - continuent de "commettre meurtres, violences sexuelles, enlèvements et pillages et d'entraver l'aide humanitaire", selon HRW.
Normalisation
Les forces amahra refusent elles, malgré l'accord, d'évacuer le Tigré occidental et "poursuivent une campagne de nettoyage ethnique en expulsant de force les Tigréens" de cette zone qu'elles revendiquent, selon HRW.
L'ONG, comme l'UE, réclament à nouveau que les responsables d'atrocités en Ethiopie soient traduits en justice. "Des progrès supplémentaires concernant le processus judiciaire et la justice seront décisifs pour la (...) normalisation" des relations UE-Ethiopie initiée par Bruxelles en avril, insiste M. Borrell.
L'accord de Pretoria "manque de détails sur la répression des crimes commis, notamment sur le type de mécanismes d'enquête en vue de poursuites futures", déplore HRW, sceptique sur le processus de "justice transitionnelle" promis par Addis Abeba.
Faute de soutien international, sur fond de pressions éthiopiennes, le Conseil des droits humains de l'ONU n'a pas renouvelé en septembre le mandat d'une Commission d'enquête onusienne qu'Addis Abeba n'a jamais autorisé à enquêter sur le terrain.
Mosaïque d'environ 80 peuples, l'Ethiopie est depuis 1991 un pays fédéral aux Etats régionaux découpés selon des lignes ethno-linguistiques. Longtemps étouffées, les revendications identitaires se sont réveillées depuis l'arrivée au pouvoir en 2018 de M. Abiy. Un processus de "dialogue national" chargé d'identifier et résoudre les "causes profondes" des divergences au sein de l'Ethiopie a été lancé en 2021. Mais le processus est lent, critiqué et suscite le scepticisme de nombreux observateurs.
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