Les faits remontent à l'époque où la Namibie s'appelait encore l'Afrique allemande du Sud-Ouest (1884-1915), lorsque l'Allemagne mena une guerre "raciale" contre les peuples indigènes Héréro et Nama, qui culmina en 1904.
Privés de leurs terres, de leur bétail et de tout moyen de subsistance par des colons allemands et pressurés par l'administration coloniale, les Héréros se sont révoltés le 12 janvier 1904, massacrant 123 civils allemands.
Après la sanglante bataille de Waterberg, en août de cette année-là, quelque 80.000 Héréros fuient avec femmes et enfants pour gagner le Botswana voisin. Les troupes allemandes les poursuivent à travers les étendues désertiques de l'actuel Kalahari, où seuls 15.000 survivent. Et en octobre 1904, le commandant militaire de la colonie, le général Lothar von Trotha ordonne l'extermination des Héréro.
Quant à la tribu Nama, plus petite, elle connut un sort similaire. Quelque 10.000 d'entre eux furent tués en essayant de se rebeller contre les Allemands entre 1903 et 1908.
Dépossession, camps de concentration, expériences scientifiques sur des "spécimens" d'une race jugée inférieure, extermination: les principaux ingrédients des grands génocides du XXe siècle étaient déjà en place.
Même si l'Allemagne a mis longtemps à reconnaître la gravité des faits, plusieurs de ses représentants utilisent désormais le terme de "génocide" pour décrire les faits.
Il ne s'agit toutefois pas d'une reconnaissance formelle. Berlin considère ne pas avoir à payer de dédommagements individuels et fait valoir l'aide au développement versée à la Namibie depuis son indépendance de l'Afrique du Sud en 1990. Une aide qualifiée de "généreuse", avec des montants "records" par habitant, qui reflète "la responsabilité particulière" de l'Allemagne, a indiqué à l'AFP un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Les gouvernements allemand et namibien négocient néanmoins depuis environ deux ans une déclaration commune: l'Allemagne devrait présenter des excuses pour les massacres dans son ancienne colonie et envisagerait un dédommagement global sous forme d'aide au développement spécifique pour les descendants des victimes. Mais pour le reste, Berlin ne donne aucun détail, soulignant simplement qu'il "y a de bonnes raisons de ne pas les étaler sur la place publique".
Que peut faire la justice américaine dans cette histoire? Les chefs héréro Vekuii Rukoro et nama David Frederick et des associations représentant les deux peuples l'ont saisie le 5 janvier au titre du "Alien Tort Statute" qui permet à des étrangers de faire valoir leurs droits devant un tribunal fédéral américain en cas de violation du droit international, explique leur avocat, Kenneth McCallion.
Car les représentants des deux tribus ne sont pas partie prenante aux négociations germano-namibiennes, ce qui viole selon eux une déclaration de l'ONU de 2007 sur les droits des peuples indigènes. Violation qui fait parallèlement l'objet d'un recours devant un comité de l'ONU.
Dans leur plainte déposée au nom des Héréro et Nama du monde entier, les chefs tribaux et les associations demandent également des réparations d'un montant non précisé pour ce génocide et les "dommages incalculables" subis par leurs ancêtres.
En octobre dernier, le chef héréro Vekuii Rukoro avait qualifié d'"insulte phénoménale" un accord gouvernemental qui excluerait des réparations en bonne et due forme. Faisant valoir que l'Allemagne a dû verser des réparations après l'Holocauste et que des Africains méritaient la même chose.
Reste à savoir si cette plainte pourra faire avancer leur cause. Les chefs Rukoro et Frederick doivent se présenter jeudi matin devant la juge fédérale new-yorkaise Laura Taylor Swain pour la première audience prévue dans cette affaire, avant de tenir une conférence de presse. Mais l'Allemagne pourrait faire traîner les choses, selon Kenneth McCallion.
A quelques heures de l'audience, le nom de l'avocat désigné pour représenter Berlin n'était toujours pas connu et sa présence à l'audience incertaine.
Avec AFP