Une frappe aérienne a touché mardi un marché très fréquenté dans le village de Togoga, dans le nord du Tigré, en Éthiopie, selon des agents de santé qui ont déclaré que des soldats avaient empêché les équipes médicales de se rendre sur les lieux. Des dizaines de personnes ont été tuées, selon ces mêmes sources et un ancien habitant du village, citant des témoins.
Deux médecins et une infirmière de Mekele, la capitale régionale du Tigré, ont déclaré à l'Associated Press qu'ils n'étaient pas en mesure de confirmer le nombre exact de personnes tuées, mais un médecin a déclaré que les agents de santé présents sur les lieux avaient fait état de "plus de 80 morts civils".
"Nous ne savons pas si les jets venaient d'Éthiopie ou d'Érythrée. Ils cherchent encore les corps à la main. Plus de 50 personnes ont été tuées, peut-être plus", confie à l'AP un employé d'un groupe humanitaire international qui a dit avoir parlé avec un collègue et d'autres personnes sur les lieux.
"Jusqu'à présent, nous n'avons pas obtenu la permission d'y aller, donc nous ne savons pas combien de personnes sont mortes", a déclaré l'un des médecins de Mekele.
Les agents de santé ont parlé sous couvert d'anonymat par crainte de représailles.
Hailu Kebede, responsable des affaires étrangères pour le parti d'opposition Salsay Woyane Tigray et originaire de Togoga, a déclaré à l'AP qu'un témoin fuyant l'attaque avait compté plus de 30 corps et que d'autres témoins faisaient état de plus de 50 personnes tuées.
Si les faits sont confirmés, cette frappe aérienne intervient à un moment où des combats les plus violents sont enregistrés dans la région du Tigré depuis le début du conflit en novembre.
Les forces fédérales éthiopiennes, soutenues par celles de l'Érythrée voisine, traquent les anciens dirigeants du Tigré, une zone semi-autonome. Un porte-parole militaire et la porte-parole du Premier ministre éthiopien n'ont pas répondu immédiatement à une demande de commentaire.
Des petits enfants parmi les victimes
Des blessés soignés à l'hôpital Ayder de Mekele ont déclaré aux agents de santé qu'un avion avait largué une bombe sur la place du marché de Togoga.
Les six patients comprenaient un enfant de 2 ans souffrant d'un "traumatisme abdominal" et un enfant de 6 ans, a déclaré l'infirmière. Une ambulance transportant un bébé blessé à Mekele, à près de 60 kilomètres par la route, a été bloquée pendant deux heures et le bébé est mort en chemin, a ajouté l'infirmière.
Mardi après-midi, un convoi d'ambulances qui tentait de se rendre à Togoga, à environ 25 kilomètres (15 miles) à l'ouest de Mekele, a été refoulé par les soldats près de Tukul, selon les agents de santé. Plusieurs autres ambulances ont été refoulées plus tard dans la journée et mercredi matin, mais un groupe de travailleurs médicaux a atteint le site mardi soir par un autre itinéraire.
Ces travailleurs médicaux soignaient 40 blessés mais ont déclaré à leurs collègues de Mekele que le nombre de blessés était probablement plus élevé car certaines personnes ont fui après l'attaque. Cinq des patients blessés nécessitaient des opérations d'urgence, mais les agents de santé n'ont pas pu les évacuer.
Un autre médecin a déclaré que l'ambulance de la Croix-Rouge dans laquelle il voyageait mardi pour tenter de se rendre sur les lieux a essuyé deux tirs de soldats éthiopiens, qui ont retenu son équipe pendant 45 minutes avant de lui ordonner de rentrer à Mekele.
"Ils nous ont dit que quiconque y allait, aidait les troupes du TPLF", a dit un médecin.
Le TPLF fait référence au Front de libération du peuple du Tigré, qui a gouverné le Tigré jusqu'à ce qu'il soit évincé par une offensive du gouvernement fédéral en novembre 2020. Les combats qui ont suivi ont fait des milliers de morts et forcé plus de deux millions de personnes à quitter leur foyer.
350 000 personnes guettées par la famine
Si les Nations unies ont déclaré que toutes les parties ont été accusées d'abus, les soldats éthiopiens et érythréens ont été accusés à plusieurs reprises par des témoins de piller et de détruire des centres de santé dans toute la région du Tigré et de refuser aux civils l'accès aux soins.
Ce mois-ci, les agences humanitaires ont averti que 350 000 personnes dans le Tigré risquaient de souffrir de la famine. Les travailleurs humanitaires ont déclaré que les soldats leur ont refusé à plusieurs reprises l'accès à plusieurs parties de la région.
Le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed affirme avoir pratiquement vaincu les rebelles. Mais les forces loyales au TPLF ont récemment annoncé une offensive dans certaines parties du Tigré et ont revendiqué une série de victoires.
Un habitant d'Adigrat, à environ 100 kilomètres (62 miles) au nord de Mekele, a déclaré qu'un groupe de combattants tigréens avait brièvement pénétré dans la ville mardi, mais qu'elle avait depuis été reprise par les forces éthiopiennes et érythréennes. Il a ajouté que la police fédérale avait depuis été vue en train de frapper des gens dans le centre de la ville.
"Tout le monde reste chez soi, il n'y a pas de mouvement dans la ville", a-t-il déclaré.
De nouveaux combats ont également été signalés à Edaga Hamus et Wukro, deux villes situées sur la route principale de Mekele.
Ces informations interviennent alors que l'Éthiopie a tenu des élections fédérales et régionales lundi. Le scrutin s'est déroulé dans le calme dans la plupart des régions du pays, bien qu'il n'y ait pas eu de vote dans le Tigré.