De nombreuses associations et pays dans le monde ont en effet constaté une recrudescence de la violence intrafamiliale lors du confinement, en particulier à l'encontre des femmes et des enfants, n'ayant guère la possibilité de faire appel à une aide extérieur en cas d'abus de la part d'un proche.
Les sept pays africains ayant pris part à cette déclaration du 6 mai sont la Guinée, le Liberia, le Cap Vert, la Tunisie, Madagascar, l’Afrique du Sud et la Namibie. Du côté de l'Europe, qui enregistre le plus d'engagements, on note notamment les habitués de la cause féminine comme l’Espagne, la France, la Suède, l’Allemagne, ainsi que l'Italie et le Royaume Uni.
Dans le reste du monde, le Canada du Premier ministre féministe Justin Trudeau est en première ligne, avec notamment la présence du Mexique, du Japon et de la Corée du Sud, trois pays encore fortement ancrés dans la culture patriarcale.
Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères de la France, et Diénè Keïta, ministre de la Coopération internationale et de l'Intégration régionale de la Guinée, sont parmi les signataires de cette déclaration, qui met en exergue l'impact "dévastateur" que produit la pandémie sur les systèmes de santé de nombreux pays.
Les signataires alertent en premier lieu sur la vulnérabilité accrue des personnes âgées, qui sont les plus exposées à la maladie et sont parfois victimes de négligence, comme l’a déploré en avril le Premier ministre canadien justin Trudeau, en réaction à un taux élevé de décès dans les maisons de retraite de son pays. Le même constat a été fait dans des centres spécialisés de pays européens et de certaines villes américaines comme Seattle dans l'Etat de Washington.
"La pandémie aggrave les inégalités chez les femmes et les filles", ainsi que chez "les personnes handicapées et celles vivant dans l'extrême pauvreté", précise la déclaration, soulignant que ces populations doivent être impliquées dans la crise sanitaire et que leur protection doit être au centre des efforts de réponse à la maladie Covid-19.
-Plus de femmes dans la gestion de crises-
"Nous appuyons la participation active et le leadership des femmes et des filles à tous les niveaux de prise de décision (...) Cette participation et ce leadership garantissent que les efforts déployés et les réponses apportées tiennent compte de la dimension de genre et n'entraînent pas davantage de discrimination et d'exclusion envers les personnes les plus à risque", détaille la déclaration du 6 mai.
A cet endroit, le Premier ministre italien Giuseppe Conte, avait appelé le 4 mai son gouvernement à donner plus de place aux femmes dans la crise sanitaire. M. Conte avait pris cette décision après la publication d'une tribune de sénatrices demandant de féminiser les comités chargés de conseiller le gouvernement sur cette question.
La parité au sein des équipes de travail ainsi que des mesures ciblées et adéquates dans le monde s'avèrent en effet devenir une nécessité, au regard de statistiques alarmantes effectuées aux quatre coins de la planète. La plupart des enquêtes disent que la violence domestique a considérablement augmenté dans plusieurs pays depuis le début des mesures de confinement général car les personnes habituellement maltraitées au sein d'un foyer sont constamment à la merci de leurs agresseurs.
Autre facteur déterminant dû à la tension économique générée par les restrictions: de nouvelles violences s'installent même dans des familles sans antécédant dysfonctionnel.
La pandémie "a des effets économiques et sociaux dévastateurs pour les femmes et les filles", soulignait le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, quatre jours après son appel du 5 avril, dans lequel il déplorait déjà "une horrible flambée de violence domestique" dans le monde. M. Guterres a demandé la mise en place de systèmes d'alerte dans les magasins d'alimentation et à prioriser les dossiers de femmes et d'enfants abusés.
-La nécessité de garantir les droits humains-
Dans leur déclaration, les 59 ministres affirment que "les mesures restrictives destinées à limiter la propagation du virus dans le monde augmentent le risque de violence domestique, dont celle entre partenaires intimes."
Au lendemain de la publication de cette déclaration, la Russie a admis que les violences domestiques avaient plus que doublé dans le pays depuis le 10 avril.
La déléguée aux droits humains auprès du Kremlin, Tatiana Moskalkova, avait ainsi souligné que les femmes peuvent difficilement se présenter aux autorités pour demander de l'aide. Si elle y parviennent, elles sont refoulées -sous couvert de violation du confinement- ou alors la police refuse de se déplacer, déplore Mme Moskalkova.
La situation n'est pas plus reluisante en Europe voisine, où les services d'urgence ont enregistré une hausse jusqu'à 60% des appels de femmes victimes de violences conjugales pendant le confinement; ce qui tend à se généraliser dans presque tous les pays européens, selon l'OMS.
Les gouvernements "ne devraient jamais perdre de vue la nécessité de garantir l'égalité et les droits humains fondamentaux", a déclaré fin mars Béatrice Fresko-Rolfo, rapporteure sur la violence sexiste au Conseil de l'Europe.
Le 30 mars, la presse italienne annonçait qu'une Sicilienne contraintes à une "cohabitation forcée" a été étranglée par son compagnon. La présidente de la commission Fémicide du Sénat, Valeria Valente, avait alors dénoncé le "énième fémicide survenu dans un foyer, où la crise du coronavirus nous impose de rester". Ainsi, les victimes en Italie sont désormais exemptées de déclaration sur l'honneur avant d'intégrer un centre d'accueil.
L'Amérique latine, encore largement empreinte de culture patriarcale et au vécu social violent, n'échappe pas à l'exacerbation des tempéraments machistes en milieu confiné où la liberté de mouvements est considérablement réduite.
Le Honduras est l'un des pays latino-américains ayant reconnu fin avril une "flambée" de la violence domestique, surtout contre les femmes et les enfants.
La justice du pays est toutefois réactive et affirme, notamment à San Pedro Sula, procéder à près de cinq placements en détention par jour de personnes accusées de ces violences, qui ont doublé pendant le confinement.
Dans le même temps, le président du Guatemala, Alejandro Giammattei, a déclaré à la télévision publique son inquiétude face à la montée des violences intrafamiliales dans son pays.
-Jusqu'a cinq fois plus d'agressions sexistes-
En Chine, des associations féministes pékinoises ont dénombré un triplement des violences rapportées par des femmes à Beijin, tout en exprimant leur impuissance face à cette situation.
Tandis que les féministes turques se demandent aussi où peut aller une femme victime de violence domestique dans leur pays, la plupart des communes allemandes organisent des accueils alternatifs pour assurer la sécurité des victimes.
En Malaisie, une ligne téléphonique de soutien aux personnes abusées a enregistré une hausse des appels de plus de 50% depuis le 18 mars.
En Inde, la Commission pour les femmes a noté le doublement des violences sexistes dès la première semaine de restrictions, et la même periode en Afrique du Sud s'est traduite par 90.000 plaintes.
En France, la violence domestique a cru d'un tiers en une semaine, tandis que plusieurs villes américaines ont également rapporté un nombre croissant de violences familiales.
La Tunisie a enregistré cinq fois plus d'agressions contre des femmes dès la première semaine de confinement. "La tension a augmenté au sein des familles et les risques sont beaucoup plus élevés", avait declaré la ministre de la Femme, de l'Enfance et des Personnes âgées, Asma Shiri Laabidi, tout en annoncant de nouvelles dispositions dont un service en ligne pour les enfants en situation de détresse.
Mi-avril, des associations marocaines se sont également inquiétées de la détérioration de la situation au sein de certains foyers, et ont appelé les autorités à apporter "une réponse d'urgence aux violences faites aux femmes pendant la pandémie de Covid-19".
Dans une lettre adressée au gouvernement, elles soulignent que "les restrictions de mobilité augmentent la vulnérabilité des victimes de violences, en rendant difficile, voire impossible la possibilité d'échapper à une situation dangereuse".
Le stress lié à l'isolement social augmente "la menace de violences domestiques et sexuelles pour les femmes et enfants", a prevenu fin mars la fédération allemande des Centres de conseils pour les femmes, soulignant que pour les victimes, la situation actuelle signifie "être constamment livrée" aux auteurs de tels actes.
-Des réponses adaptées aux situations de détresse-
Face à ce constat général, certains pays ont engagé des mesures accompagnées de fonds spéciaux, comme l'Australie, qui a debloqué 150 millions de dollars en mars pour la lutte contre les violences conjugales.
Parmi d'autres pays européens, l'Italie a aussi débloqué une trentaine de millions d'euros mi-avril et renforcé les fonctionnalités de l'application YouPol, utilisée pour envoyer des signalements géolocalisés aux forces de police.
Ce phénomène de l'amplification des violence domestiques en période de confinement n'épargne pas les populations les plus vulnérables dans les camps de personnes deplacées ou refugiées à travers le monde.
Le 20 avril, le HCR a alerté sur la situation des filles et des femmes, soulignant que les déplacées risquent d'être confinées avec leurs agresseurs, et que d'autres "pourraient être contraintes à des relations sexuelles de survie, ou à des mariages forcés de mineures".
Au cours de la même période, les autorités françaises chargées de la protection de l'enfance indiquaient que le numéro d'urgence pour l'enfance en danger avait bondi de 89% en une semaine.
Le 119, qui reçoit quotidiennement environ 700 appels, a été doublé d'un service de signalement sur internet, sachant qu'en France -hors période de coronavirus- un enfant meurt tous les cinq jours de violences familiales.
-Nouvelle vague de violence économique-
Les restrictions dans une majorité de pays à travers le monde ont par ailleurs fragilisé plus encore la situation, déjà précaire, de millions de femmes travaillant dans l'économie informelle.
Le 20 mars, la Directrice d’ONU Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka, déclarait: "la majorité des femmes travaillent dans l’économie informelle, ce qui signifie que leur revenu est précaire (...) Sachant qu’elles ne sont souvent pas éligibles aux mesures de renflouements, elles ne sont pas aidées financièrement." Et d'ajouter, "Il ne s’agit pas là seulement d’un problème sanitaire: nous sommes au cœur de la question de l’égalité des genres".
Début avril, le Sénégal, avec l'appui d’ONU Femmes, a lancé un programme pour soutenir les agricultrices, qui, en retour, fournissent la population en riz et en céréales locales qu'elles produisent. "Les femmes agricultrices que nous appuyons ont une capacité de production qui leur permet de participer activement à la riposte au coronavirus", avait indiqué Oulimata Sarr, Directrice régionale d’ONU Femmes Afrique de l’Ouest et du Centre.
De même qu'au Maroc, les travailleurs du secteur informel bénéficient de mesures d'accompagnement leur permettant de supporter le poids des pertes économiques. Mais ce type d'initiatives est loin d'être généralisé dans la plupart des pays à fort taux d'économie informelle féminine; un secteur ne disposant déjà que de très peu de soutien en temps normal.
Ainsi, les efforts d'autonomisation des femmes entrepris depuis des décennies sont menacés dans certaines régions défavorisées, où de nombreuses femmes risquent de perdent leur indépendance si durement acquise, pour se retrouver confrontées à la violence économique, à laquelle elles avaient tout juste échappé.
-Préserver les acquis en matière d'éducation-
La crise sanitaire mondiale a l'avantage de mobiliser des personnalités du monde entier, y compris la cadette des militants altermondialistes, la jeune suédoise Greta Thunberg, qui, du haut des ses 17 ans, a lancé une campagne avec l'Unicef visant à protéger les enfants subissant les conséquences de la crise du coronavirus, à commencer par la privation d'éducation dans les pays n'ayant pas la capacité de dispenser des cours à distance.
L'adolescente, connue pour ses coups de gueule contre le réchauffement climatique, a remis 100.000 dollars à l'agence onusienne, pour soutenir "la lutte contre la violence et le recul de l'éducation" provoqués par la fermeture des écoles en raison du confinement.
Le 20 mai, le Programme des Nations Unies pour le Développement a indiqué que le développement humain était en voie de régression pour la première fois depuis des décennies, à cause des conséquences de la pandémie. Actuellement, 60% des enfants ne reçoivent pas d'éducation, selon le PNUD.
Un mois plus tôt, l'Unesco estimait à 826 millions le nombre d'élèves et d'étudiants n'ayant pas accès à un ordinateur à domicile, en pleine période d'enseignement à distance obligé.
Dénonçant une "fracture numérique préoccupante", l'ONU ajoute que 706 millions d'apprenants, dont une grande partie en Afrique, n'ont d'ailleurs pas internet à la maison...
Par ailleurs, "des adolescentes qui ne vont plus à l'école pourraient ne jamais y retourner", a mis en garde Antonio Guterres, craignant que "les progrès perdus ne mettent des années à revenir".
Estimant que les gouvernements doivent "être responsables de la protection sociale et garantir la santé, les droits et le bien-être des adolescents en période de fermeture des écoles", les 39 ministres de la déclaration du 6 mai soulignent pour leur part que "les besoins en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris les services de soutien psychosocial et de protection contre la violence sexiste, doivent être prioritaires".
Les progrès réalisés en matière de scolarisation et autres droits des filles, subissent en effet un double revers du fait de la crise sanitaire, repoussant des agendas prioritaires plutôt que de les recentrer, de les redéfinir sans écarter l'aspect genre du nouveau contexte.
Et la manière dont les différents pays gèrent l'aspect genre -que ce soit au plan national ou international- en cette période de pandémie, sera probablement révélatrice du chemin qu'il reste à parcourir, après la longue marche entreprise depuis la première conférence mondiale sur les femmes au Mexique en 1975 jusqu'a celle de Beijin en 1995.
Une situation qui a de quoi inciter les cellules de veille des milieux progressistes à ne pas baisser la garde. C'est notamment le cas de la FAR, l'Alliance Féministe pour les Droits, basée au New Jersey, qui a également coordonné une déclaration mondiale pour demander aux États d’adopter une politique féministe, afin, dit-elle, "de relever les défis exceptionnels posés par la pandémie COVID-19, tout en respectant les droits humains."