Jouma et Abdulhameed ont fui la guerre civile et la crise humanitaire qui ravagent le Soudan du Sud, Saeed et Ghanim les violences policières et la misère au Soudan.
Pharmacien de 28 ans, Saeed raconte avoir décidé de partir il y a un an, lorsque sa fille est née alors qu'il était soumis à des mauvais traitements en prison, pour la troisième fois, en raison de ses activités syndicales.
Mais il a dit à sa femme qu'il partait en Egypte. "La Libye est un endroit dangereux, je ne voulais pas l'inquiéter", explique-t-il.
En réalité, lui et un ami se sont rendus en Libye via le Darfour (dans l'ouest du Soudan), une voie directe de plus en plus surveillée, à la demande de l'Europe.
"C'est difficile de traverser. Il y a les Janjaweed (milices arabe recrutées par Khartoum auteurs de terribles violences au Darfour) et le gouvernement du Soudan ne vous laisse pas passer", précise de son côté Abdoulhameed, 27 ans.
Lui et Ghanim, 20 ans, ont dû faire un détour de plusieurs semaines par le Tchad, tandis que Jouma, 39 ans, est passé par l'Egypte.
A chaque étape, il faut payer une nouvelle milice, au risque d'être emmené plusieurs mois comme esclave dans le désert. "J'ai vu beaucoup de gens se faire tuer", soupire Jouma.
Dans la région de Benghazi (dans le nord-est de la Libye), Saeed a aussi croisé des intégristes que le chauffeur lui a dit être de l'organisation Etat islamique (EI): "Ils nous ont demandé de lire quelques versets du coran et ils nous ont laissés partir".
L'un après l'autre, les quatre hommes ont pris contact avec un réseau de passeurs qui leur a réclamé 1.200 à 2.000 dinars libyens pour "traverser la rivière", soit moins de 300 dollars au marché noir, un prix divisé par 3 ou 4 par rapport à il y a quelques années, en raison de la chute du cours du dinar et du recours toujours plus fréquent à des canots pneumatiques bon marché.
'La situation est instable'
Les passeurs disposaient de véhicules militaires lourdement armés et les ont enfermés avec 300 à 400 autres candidats au départ. "Quelque chose comme une prison, des conditions inhumaines", raconte Saeed, qui y a passé trois semaines.
"Si tu ne paies pas, ils te torturent, ils te frappent. Une fois que tu as payé, tu dois attendre longtemps et si tu as de la chance, ils te poussent sur la mer. Ensuite quelqu'un vient te sauver ou non, ça dépend de ta chance", résume Abdoulhameed.
"Ils nous disaient: le voyage est bientôt, mais maintenant la situation est instable. Il y a des navires de guerre italiens, si tu bouges ils te renvoient", précise Ghanim.
Depuis début août, des navires militaire italiens patrouillent en effet dans les eaux libyennes pour aider à intercepter les migrants.
Mais dans la nuit de lundi à mardi, les passeurs sont venus chercher ces derniers pour les conduire sur la plage. Au grand désespoir de Saeed, l'ami avec lequel il voyageait depuis le début a dû rester derrière.
Pour diriger les opérations, un "général" en uniforme les guide. "La plage lui appartenait. Il nous a dit qu'il était le patron là-bas, que personne ne pouvait rien nous demander", raconte Ghanim.
Le canot surchargé s'est alors enfoncé dans la nuit. Au petit matin, ses occupants ont appelé à l'aide grâce à un téléphone satellitaire fourni par les passeurs. C'est le Phoenix de l'ONG maltaise de sauvetage qui est intervenu.
Au total, ils étaient 112 personnes à bord, dont cinq femmes, sept jeunes enfants et 11 adolescents. Venus des deux Soudan, mais aussi du Bangladesh, d'Egypte, du Maroc et pour une poignée d'Afrique de l'Ouest.
Transférés à la demande des gardes-côtes italiens sur l'Aquarius, navire affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, ils sont arrivés mercredi en Sicile, sans avoir une idée claire de la suite.
Gagner l'Angleterre, trouver un travail ? En attendant, ils comptent reprendre des forces en Italie. "J'espère que le camp (de réfugiés) sera correct. Au moins il paraît que ce n'est pas une prison", souffle Saeed.
Avec AFP